Jaehae Peak ( 재해 Peak )

Tout comme Lemony

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J'avais un parrain que je m'évertuais à appeler Lemony. Ce à quoi il répondait inévitablement :

— Snicket. Pour toi, c'est Mister Snicket, jeune fille !

Il me semble qu'il ne serait pas exagéré de le qualifier d'austère. Il se promenait en permanence avec une version miniature dédicacée d'Oliver Twist dans la poche intérieure de son veston. Le plus souvent, je me figurais qu'il l'avait oublié là et que ce livre n'avait pas plus d'importance que ses boutons de manchette dorés. Mais, parfois, quand l'enfant troublée que j'étais s'obstinait à rester silencieuse, car «aucun mot n'aurait su exprimer ce que j'avais à dire et que, de toute façon, cela n'intéressait personne», il s'enfonçait dans son fauteuil, croisait ses longues jambes qui se terminaient par des souliers noirs toujours vernis à la perfection, me lançait un regard plein de mystères qui me faisait asseoir immanquablement, et me disait :

— Ma douce et sombre enfant, c'est moi qui ai le devoir de te guider dans ce monde. Mais il va bien sûr sans dire que personne ne t'oblige à m'écouter et à continuer à me rendre visite. Et je ne saurais que trop te conseiller de sortir rencontrer des jeunes gens de ton âge. Ce qui serait un programme plus réjouissant.

Mon silence opiniâtre n'avait d'égal que sa détermination à m'éduquer à l'ironie de la vie tout en m'insufflant quelques notions de philosophie. De plus - mais il s'agissait d'un élément totalement involontaire de sa part - son amour sans pareil pour sa Béatrice "Bien aimée, mieux aimée, perdue" avait fait naître chez moi une forte idée des relations amoureuses et des attentes hautement exigeantes.

Invariablement, il finissait par plonger la main dans la poche de son veston pour en sortir le bouquin corné et me faire une lecture commentée. Sa voix me berçait, les mots de Dickens infusaient lentement en moi, et, immanquablement, systématiquement, immuablement, et paradoxalement, je m'adoucissais.

Lorsque je vous parle, chers lecteurs, de Namjoon et Yoongi, le souvenir de ce parrain hors du commun refait surface, car ces deux hommes avaient un don, tout comme mon regretté Lemony : celui d'apaiser l'autre par sa simple présence et de lui donner le sentiment d'être compris.

Namjoon avait toujours été aimé, adoré, choyé par ses proches. Il aurait pu devenir un gamin puis une personne insupportable de suffisance et capricieuse. Mais il n'en était rien. Le résultat de cette éducation et, ne nous le cachons pas, de cette bonne fortune qui n'est pas donnée à tout le monde, fut un être gentil. Gentil dans tous les sens du terme : adorable, mignon, doux, délicat, généreux, obligeant... Il savait écouter et trouver les mots qui rassérènent. Il avait connu le chagrin, la douleur d'une relation qui se termine mal, et, pourtant, il était resté le même.

Yoongi, en marchant, l'observait comme on observe une curiosité de la nature qui finit par se révéler être une véritable merveille. Il se disait que cela devait être bon de pouvoir se confier à un homme comme Namjoon, qu'on devait se sentir étrangement pacifié après cela. Mais cela était hors de sa portée. Et puis comment raconter son histoire si pitoyable ? Ce serait rouvrir des blessures qu'il avait pris une éternité à panser, ouvrir une porte sur sa vulnérabilité, offrir au sort une occasion supplémentaire de lui prouver qu'il n'était bon que pour la solitude.

Namjoon, évidemment, ne lisait pas dans les pensées. Mais il ressentait, comme je vous l'ai dit précédemment, les choses avec une grande acuité. Alors qu'il suivait Yoongi sans profiter du paysage qui se déroulait à sa droite - et c'était heureux car, il est évident que le précipice, qui ne semblait pas finir, l'aurait fait paniquer, que ses jambes auraient pris la consistance du coton, et qu'il aurait été obligé de s'asseoir. Non, il gardait les yeux rivés sur les épaules voûtées de Yoongi se demandant s'il n'était pas à l'origine de son humeur maussade et cherchait un moyen de le dérider, ou de se faire pardonner. Ou, tout au moins, de détourner Yoongi de ses pensées pour alléger l'atmosphère.