Uniquement pour te protéger

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Chapitre 5

Inej


— Le boss t'aime bien, déclara Jesper entre deux gorgées de son shot de gin.

Inej haussa les épaules.

— Je lui rapporte de l'argent.

— On lui rapporte tous de l'argent, ricana Rojjake.

Un faible sourire glissa sur ses lèvres. En trois semaines, depuis son arrivée chez les Dregs, elle avait amassé une somme déjà rondelette. Elle savait que Kaz Brekker en avait gagné au moins trois fois plus.

— Et toi tu dépenses tout au Crow Club, tu le rends donc deux fois plus riche, railla-t-elle.

Jesper éclata de rire. Rojjake grimaça. Elle avait appris à aimer leur compagnie, partageant d'abord leurs repas, puis leurss soirées autour d'un flot d'alcool et de jeux de hasard.

Jesper l'avait abordée sans détour dans les couloirs du Slat, quelques jours après sa venue. Il s'était montré aimable, désintéressé. Inej avait tout de suite sentit quelque chose de bon émaner de ce garçon. En quelques heures, il l'avait intégrée chez les Dregs. Elle aimait sa bonhomie, qui contrastait tant avec l'attitude froide, dure et inflexible de Kaz Brekker.

Il lui avait présenté le Crow Club, antre de voyous aux lumières tamisées. Tout y puait l'argent facile, l'addiction, l'alcool et le frisson du jeu. En somme, le grand banditisme. Inej se faisait toute petite entre ses murs, veillant à bien rester dans l'ombre de Jesper. Elle avait vite compris qu'il jouissait d'une réputation conséquente chez les Dregs.

De temps à autres, le martèlement de la canne de Kaz hantait les lieux. Elle avait vu la physionomie des murs changer au gré de sa présence. Tous ses hommes, même les plus agités, feignaient de se tenir à carreau. Personne ne voulait d'ennuis avec Kaz Brekker. Il lui semblait même qu'il était davantage craint que le chef de leur gang.

Per Haskell l'avait toisée de haut en bas lorsqu'il avait fait les présentations. Inej sentait qu'il était déçu de son investissement. Elle avait baissé les yeux. Brekker à sa droite lui avait pour une fois parut plus humble, le manteau de son arrogance laissé sur le pas de la porte. Il avait joué gros en pariant sur elle. Mais Haskell avait toute confiance en son lieutenant. Inej sentit qu'il le laisserait faire ce qu'il voulait, tant qu'il obtiendrait de lui allégeance et prosternements.

Rojjake ralluma son cigare, vent calme par temps gris. De trois ans de plus son ainé, il semblait pétri d'une solidité fiable, incarnation d'une force tranquille qui lui conférait l'aura d'une bonne compagnie.

— Dépenser mon argent chez lui me met dans les petits papiers de Dirtyhands, alors ça me va.

Jesper arqua un sourcil.

— Toi, dans les petits papiers de Dirtyhands ?

Inej leva les yeux au ciel. C'était reparti pour une querelle, la sempiternelle. Qui d'eux deux pouvait se targuer d'être le premier lieutenant de Kaz Brekker ? A croire qu'ils lui mangeaient tous dans la main sans aucune dignité.

— Le boss la préfère à elle, trancha Jesper.

— N'importe quoi.

— Il la bichonne, je te dis.

Jesper et Rojjake se lancèrent un regard plein de sous-entendus. Inej s'empourpra.

— J'ai plus l'impression d'être son nouveau jouet, bredouilla-t-elle.

Et qu'il se détournera de moi dès sa prochaine acquisition. Sans doute qu'à ce moment-là, il sera peut-être temps de partir ?

Inej n'avait pas renoncé à ses plans d'évasion. Elle s'était promis qu'au moindre faux pas, elle s'évanouirait dans les airs.

Le corbeau sur la rampeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant