Je suis un monstre

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Chapitre 8

Inej



— Ta jambe te fait plus mal les jours de pluie, je me trompe ?

Inej posa ses jumelles et se tourna vers Kaz.

Ils étaient perchés sur les toits d'un immeuble, le ciel humide, à l'abri d'un auvent.

— Ma jambe me fait mal tout le temps, d'où la canne, répliqua-t-il.

Dehors une nuée de pluie se déversait sur les pavés de la ville. Allongés sur un court périmètre de tuiles sèches, ils se tenaient côte à côte, suffisamment près pour se sentir troublés, suffisamment loin pour que leurs corps jamais ne se touchent.

Inej soupira.

— Je t'ai observé. Je sais que j'ai raison.

Kaz lui lança un regard si glacial qu'elle baissa les yeux. Inej savait le sujet sensible. Il ne parlait jamais de sa jambe. Elle avait appris qu'il se l'était cassée quelques années plus tôt, en tombant d'un toit. Ses finances ne lui avaient pas permis de faire appel à un soigneur. Per Haskell n'avait pas jugé bon de lui prodiguer des soins. Il avait continué à travailler pendant sa convalescence.

— Peut-être que si tu retournais voir un soigneur... bredouilla-t-elle.

— Déjà fait, six fois, sans succès. Fin du sujet.

Il empoigna les jumelles, d'un geste particulièrement brusque. Inej se raidit. De longues secondes alourdirent le silence. Sa gorge se serra.

— Tu...

Kaz ne leva même pas les yeux.

— Quoi ?

Les mots se bousculèrent dans sa bouche, mais aucun son n'en sortit. Inej baissa la tête.

— Rien.

De longues secondes tapissèrent le silence, denses et pesantes.

— Dis ce que tu as à dire, le Spectre, soupira-t-il au bout d'un moment.

Une bourrasque d'aigreur lui dansait dans l'estomac. Inej serra les dents, cherchant ses mots.

— T'es pas obligé de jouer les gros durs avec moi.

Kaz en lâcha les jumelles. Ses yeux se tournèrent vers elle, percée polaire à l'offensive. Elle réprima un mouvement de recul.

— Parce que tu me prends pour une gentille grand-mère ?

— Non, juste pour un ami. Et il se trouve qu'il m'arrive de m'inquiéter pour toi.

Toi tu t'inquiète pour moi ? ricana-t-il.

Inej releva le menton.

— Ça te parait si impensable ?

Elle avait planté ses yeux dans les siens, souveraine. Kaz cessa immédiatement de rire. Ses lèvres se scellèrent, déclaration de silence. Il détourna la tête, de nouveau concentré sur leur mission.

Inej soupira. Cette manie de fuir... Elle en aurait pleuré, hurlé de frustration. Jamais face au soleil, toujours à l'abri des ombres. Elle voulait qu'il la regarde, qu'il lui réponde, pas qu'il se dérobe et se dissimule.

Sans réfléchir, elle posa sa main sur son coude. Avant de le regretter. Kaz se dégagea d'un geste brusque, sourcils froncés. Inej ferma les yeux.

La première fois qu'elle avait posé la main sur son bras, elle s'était sentie de retour dans ses enfers. Il l'avait furieusement repoussée, quelque chose de sombre au fond des yeux. Cette violence lui en avait rappelée d'autres, plus féroces encore, auxquelles elle tâchait de ne pas repenser depuis des mois.

Le corbeau sur la rampeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant