Chapitre 11
Kaz
Kaz savait bien qu'il ne trompait personne. Sans doute la faute à la danse des cents pas qu'il répétait sur les dalles à longueur de journée, le souffle nerveux. Sans doute aussi à cause de ses humeurs, survoltées, hargneuses, massacrantes. Peut-être aussi à cause de la ride d'inquiétude qui ne quittait plus son front depuis ces six jours, sans nouvelles d'Inej. Le délais approchait dangereusement et malgré tous ses efforts, il n'avait aucune idée, pas la moindre, de l'endroit où Van Eyck la séquestrait.
Il s'en était pris à Jesper, qu'il avait failli assommer d'un coup de sang. Il avait hurlé sur Wylan, injuste et despotique.
Nina l'avait regardé, silencieuse, la sentence lourde d'une paire de bras croisés, mutiques et désapprobateurs. Même Helvar l'avait toisé depuis le mépris de ses épaules carrées, une pointe de déception dans les yeux.
— Mais enfin, pourquoi n'admet-il pas simplement qu'il veut retrouver Inej ? avait chuchoté Wylan, quelque pas plus loin.
Jesper avait haussé les épaules.
— On parle du même Kaz?
S'en était trop. Une colère noire, volcanique, menaçait de tout emporter sur son passage. Il empoigna sa canne, quittant la pièce avant d'assassiner l'un d'entre eux.
Tout partait à vau l'eau. Il fallait qu'il se ressaisisse. Qu'il se calme, trouve une solution pour la ramener. La savoir entre les mains de ce vautour encravaté et ce, par sa faute, le rendait malade. Van Eyck s'était montré redoutable, avait frappé dans ses points faibles, soit. Mais il était Dirtyhands, bâtard du Barrel, le plus dangereux criminel de la ville. Il les avait sortis de l'impossible, avait triomphé de l'irréalisable au Palais de glace, il n'allait pas s'incliner face à un nanti à perruque incapable de s'habiller seul.
Réfléchis.
Kaz revoyait le regard d'Inej, ses beaux yeux noirs frangés de cils le fixer en silence. Il étaient sur le point d'entamer la partie délicate du plan, au Palais de Glace, et pris d'une frénésie soudaine, il lui avait retenu la main, une confidence au bout des lèvres. Sans doute que le poids du danger, les risques élevés de ne pas revenir vivant l'avaient poussé à parler. Mais maintenant qu'elle écoutait, fébrile, l'espoir d'une confession luisant dans les yeux, il s'était tu, incapable d'en dire plus.
Inej avait tendu la main, et l'avait posée sur sa joue. Elle n'avait pas tremblé, Kaz non plus. Un sursaut de dégout lui avait traversé le corps, mais il n'avait pas bougé, la fixant dans les yeux, le silence pour seul témoins. Elle avait caressé sa peau, d'une infinie délicatesse, le coeur bordé de craintes, il le sentait. Il avait fait son possible pour ne pas bouger. Ses entrailles hurlaient, une nausée au creux du ventre, mais quelque chose d'autre, de plus vaste, le faisait frissonner d'un plaisir aussi ténu qu'affamé. Il n'avait pas reculé, mutique, son regard arrimé au sien par des cordes invisibles. Alors, un soupçon de tristesse avait fusé dans ses yeux. Elle s'était retirée en silence, l'espoir déçu.
Kaz s'en était voulu. Elle venait d'escalader six étages dans le noir sur sa demande et il n'avait pas su lui parler de ses sentiments, lui dire que non, elle ne les imaginait pas. Parce qu'il savait qu'elle les voyait, malgré tout le mal qu'il se donnait pour brouiller les pistes.
Kaz soupira. Debout en silence, entre les murs noirs de Black Veil, il avait fermé les yeux, le souvenir brulant de ses doigts sur sa peau.
Alors, la solution avait jaillit dans son esprit. Van Eyck s'en était pris à Inej, précisément parce qu'il la savait précieuse à ses yeux. Mais lui aussi pouvait jouer à ce jeu-là. Il était temps de lui rendre la monnaie de sa pièce.
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Le corbeau sur la rampe
FanficDepuis lors, Inej s'était sentie tomber, prise dans une valse de flots déroutants, entre distance et présence, discussions et silences, ouverture et barricades. Kaz Brekker menait la danse d'une relation qui chaque jour lui devenait plus claire.