Si je t'ai appris à cogner, c'était aussi en prévision de ça

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Chapitre 6 

Kaz


L'homme en gris demeurait dans son oeil de mire. Petit, courtaud, un sourire de hyène et des froques aussi sales que ses ongles, beau parleur et agile de ses doigts. Kaz savait reconnaitre un escroc lorsqu'il se trouvait face à l'un d'eux. Question d'habitude.

Celui-ci venait de remporter la mise, pour la cinquième fois consécutive. La fois de trop.

Son regard d'épervier balaya la salle. D'un mouvement de tête, il fit signe à Teapot. L'homme de main carra les épaules, déjà impressionnantes au repos, et se dirigea vers la table indiquée.

— Dehors. T'es banni du Crow Club, beugla-t-il en soulevant l'escroc gris de sa chaise.

Quelques sourcils se soulevèrent. Tous les regards convergèrent vers lui. Mais Kaz demeurait le dos droit, impassible, jouissant de sa réputation d'homme de fer.

Puis les conversations reprirent, comme si de rien était. Pas d'esclandre, c'était sa signature, et la raison pour laquelle il employait Teapot, qui à lui seul était une belle arme de dissuasion massive.

La soirée battait son plein, alcool coulant à flots, tables pleines et distribution de cartes à foison : la recette serait bonne. Kaz se détendit.

Une nouvelle silhouette poussa la porte du club. Inej. Elle déambulait, le pas félin, à la recherche de Jesper, une sotte habitude qu'elle avait prise de se joindre à lui et à ses compères du soir. Kaz fronça les sourcils. Elle avait troqué son habit d'espionne pour une nouvelle tenue qu'il ne lui avait encore jamais vu porter. Une chemise à jabot sur un pantalon de cuir, qu'elle avait du s'acheter récemment. Il la détailla de la tête aux pieds, jugeant qu'elle ne manquait pas d'allure dans ces vêtements. De nombreuses têtes se tournèrent sur son passage.

Kaz soupira.

L'idée qu'elle attire tant les regards ne lui plaisait pas. Parce qu'il était le premier à poser le sien le long de ses courbes. Pire que ça, quelque chose en lui quémandait littéralement sa présence, un souffle dangereux qu'il tâchait d'étouffer tant que possible.

Beatle et Muzzen se postèrent sur sa route, passage qui ne devait rien au hasard. Kaz fronça les sourcils. Beatle s'était penché à l'oreille d'Inej. Au regard noir qu'elle lui rendit, il devina la teneur de ses paroles.

Te laisse pas faire, murmura-t-il pour lui même. Elle contourna les deux hommes. Mais Beatle revint à la charge, la provocation de trop. Inej s'immobilisa. Un sourire zébra les lèvres de Kaz. L'instant d'après, son poing s'abattit sur sa mâchoire, l'envoyant valser près du comptoir. L'argent d'un poing américain brillait au creux de sa paume. Une idée que Jesper lui avait glissé quelques jours plus tôt.

Elle avait fini par s'ouvrir à eux, au détour d'une conversation banale. Kaz avait eu des envies de meurtre lorsqu'il avait appris que Braert avait essayé de la coincer dans les escaliers. Inej baissait les yeux, un vent de résignation, un ciel de découragement dans les gestes. Jesper s'était emporté, menaçant d'aller lui démonter le portrait. Puis son monde avait viré au rouge lorsqu'elle avait murmuré que Seegle et Red Felix n'avaient pas non plus fait dans la dentelle.

Kaz s'était muré d'un silence glaçant, une rage froide au creux du ventre.

Puis il avait posé ses mains gantées sur la table. Inej avait sursauté.

— Tu peux pas te permettre de laisser passer quoi que ce soit, déclara-t-il.

Ses yeux s'étaient arrimés aux siens, une lueur dangereuse au fond des prunelles.

Le corbeau sur la rampeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant