Chapitre 3

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Avant cette soirée, Ruggero n'avait jamais perdu son sang-froid à ce point. Il nous avait déjà menacé, mais ne s'en était encore jamais pris à nous physiquement. Les tensions étaient à leur paroxysme, et notre stage dans l'entreprise familiale n'a rien arrangé. En un seul jour, ma jumelle a su se faire apprécier de tous. C'était l'effet Vittoria. Ruggero fulminait. Durant les deux semaines à la société, il a tenté à maintes reprises de nous mettre des bâtons dans les roues et de nous faire passer pour des incompétentes auprès de papa et tonton. Vittoria réussissaient à chaque fois à esquiver ses manigances.

L'entreprise Esposito ne m'intéressait pas vraiment. Mon plus grand rêve étant de devenir une écrivaine renommée, j'avais surtout acceptée pour soutenir ma sœur. Alors de mon côté, j'observais surtout. Face aux employés, mon père et mon oncle avaient l'air exemplaire, sans aucune rivalité entre eux. Ce n'était pas comme au manoir, où je les entendais souvent se disputer à propos des affaires. J'imaginais papa plus dur avec ses salariés mais, au final, il s'est avéré être le plus clément, surtout après avoir été témoin du traitement que Leonardo réservait à certains. La moindre erreur commise par l'un d'eux en présence de mon oncle était suivie d'une réprimande sévère. Mon oncle avait l'air de prendre plaisir à humilier ses employés publiquement.

Un midi lors de la deuxième semaine de stage, je suis sortie acheter de quoi manger à ma sœur et moi. Il faisait beau ce jour là, mais je ne pouvais pas profiter du temps, je devais me dépêcher pour rentrer rapidement à l'entreprise et être à l'heure. Alors que je marchais dans les rues de Florence, j'ai aperçu au loin maman accompagné d'un homme que je n'avais jamais vu. Je me suis approché d'eux. Ils étaient en train de rigoler. Maman riait. Je n'avais tellement pas l'habitude de la voir rire que ça m'avait étonné. L'homme s'est ensuite tourné vers elle et a posé ses lèvres sur les siennes. Je me suis figée, sous le choc. J'ai pensé que j'avais peut-être mal vu, mais maman a pris la main de cet homme dans la sienne et ils ont continué à marcher ensemble ainsi. Je les ai observé jusqu'à ce qu'ils tournent dans une autre rue à une intersection. Je me suis remise à marcher jusqu'à l'entreprise, l'esprit rempli de pensées. Je ne savais pas quoi en penser. Le mariage de mes parents n'était pas le plus heureux. Maman s'est marié à papa parce que sa famille voulait un homme riche pour leur fille. Maman n'était pas amoureuse de papa. Mais elle avait l'air d'aimer cet homme. Était-ce si mauvais ?

Je suis rentrée dans les bâtiments de l'entreprise et ai rejoint ma sœur dans l'un des bureaux. J'ai sorti les affaires de mon sac et les ai posées sur la table.

— Ça va ? On dirait que t'as vu un fantôme, m'a alors dit ma soeur.

Elle me connaissait trop bien, je n'arrivais pas à lui cacher lorsque j'étais perturbée. Je me suis demandée si je devais lui en parler mais ai finalement décidé de garder le secret.

— Tout va bien. Je nous ai juste pris des moelleux comme dessert et je pensais au fait que j'ai oublié de prendre des cuillères.

Elle n'a pas eu l'air de remarquer mon mensonge et m'a sourit.

— C'est pas grave, on a qu'à les manger avec des fourchettes.

Je me suis assise en face d'elle tandis qu'elle a ouvert son repas. Au départ, c'était compliqué de lui cacher ce que j'avais vu. Vittoria et moi avions l'habitude de tout se dire alors c'était difficile de ne pas lui en parler. Mais il fallait que je garde ça pour moi. J'étais convaincue que si papa l'apprenait, il ne divorcerait pas. Il tenait tellement à l'image de sa famille parfaite qu'il resterait avec maman. Mais une chose était certaine, cela créerait encore plus de conflits et je ne voulais absolument pas que ça arrive. Donc, je ne pouvais prendre aucun risque. La seule option que j'avais était de ne le dire à personne. J'ai pensé plusieurs fois à en parler avec maman, mais je ne savais jamais comment aborder le sujet. Je revoyais toujours son visage lorsqu'elle était avec cet homme, j'entendais son rire, et cela me rendait triste de voir qu'avec nous, elle n'arborait jamais cette expression. Parfois, quand elle regardait papa, je sentais son hésitation. Avant de découvrir qu'elle fréquentait un autre homme, je ne comprenais pas ce regard. Après, ça me paraissait flagrant : elle hésitait à se séparer de lui et à prendre son indépendance de cette famille. Je voulais lui en vouloir mais je n'y arrivais pas. Je la comprenais.

Endless Hunt [en pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant