Lysandre - Partie II

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« Et je tirais sur le temps, essayant de rattraper ce qui était
perdu, modelant mon présent pour consoler la petite fille que je n'étais plus depuis longtemps déjà. »

MM

-Alors... murmurai-je, un peu gênée de la couper. Déjà à l'époque il avait ce genre d'idéaux ?

Trop absorbée par ses souvenirs, Lyria ne s'offusqua pas de mon interruption.

-Oui. Il a très vite compris qu'en travaillant pour la Tour, ce n'était pas que les autres Nations que nous trahissions, mais nos propres valeurs, notre propre peuple. Notre terre.

-Et les gens le soutenaient ? demandai-je.

-Les gens l'ont toujours soutenu. Ils auraient fait n'importe quoi pour lui. L'aura qu'il dégageait était exceptionnelle.

-T'aimait-il aussi ? demanda Lysandre.

Elle soupira.

-Je ne l'ai jamais su. Il était doux, bon et attentif avec moi. Un mari et un père idéals. Je croyais qu'il m'aimait, même si notre mariage était un mariage de raison, même s'il ne m'avait jamais véritablement fait part de ses sentiments à mon égard. Je voulais être à ses côtés, je voulais être reine, sa reine, dans le monde qu'il, que nous avions, imaginé. Puis la délégation Ivoirienne est arrivée. La raison de cette venue était simple : Alcibiade comptait en profiter pour couper net tout lien avec eux. C'était dangereux, insensé pour certains, mais courageux. Nous avions tous accepté de prendre le risque. Les jours qui ont suivi l'arrivée de la délégation, j'ai compris que je n'avais jamais été la femme de la vie d'Alcibiade.

Elle fit une pause et posa à nouveau les yeux sur moi. Je sentis une tension naitre chez Augustine et Lysandre. Mais pour une fois, Lyria me regardait sans aucune animosité.

-Tu lui ressembles beaucoup. À ta mère. À Maria. Tout comme toi Lysandre.... Ça n'a pas été évident de contempler tous les jours le visage de la femme que l'homme que j'aimais avait aimé plus que tout. Maria Eléazar, outre sa beauté, était d'une intelligence remarquable, et tout comme Alcibiade, elle rêvait d'autre chose, d'un autre monde. Moi, je n'ai jamais réussi à imaginer un monde différent, j'ai simplement été séduit par celui d'Alcibiade. Je me suis battue pour son monde, mais je n'avais pas ce que mon mari et Maria avaient ; un esprit plus libre, un esprit différent. En y repensant, ils étaient certainement faits l'un pour l'autre. Seulement, Alcibiade m'avait épousé lorsqu'il avait 18, je lui ai donné un enfant un an plus tard, et Maria n'était qu'une étrangère, dirigeante d'une des familles fondatrices d'une Nation que nous haïssions, qui nous asservissait et dont nous voulions nous défaire. Mais il l'aimait malgré tout, et elle aussi.

Sa voix était claire, maitrisée, mais je remarquais la tension dans ses épaules, le tic nerveux au coin de sa lèvre. Elle souffrait, encore maintenant, des années après.

-Et nous ? demanda Lysandre. Comment ont-ils pu être aussi imprudents ?

Lyria eut un faible sourire.

-Alcibiade et Maria n'étaient pas imprudents. Si vous êtes là, c'est parce qu'ils le voulaient.

Pour ma part, je jugeais cela imprudent. Comment mes parents ont-ils pu croire que l'enfant d'un Argent et d'une Ivoirienne aurait une vie normale, paisible ? Comment ont-ils pu faire courir un tel risque à leur enfant et mettre en danger leur peuple respectif, par la même occasion ?

-Ils s'aimaient. Cela ne s'explique pas. Il n'y a pas de logique à chercher, ajouta-t-elle d'un ton sec.

-Mais vous avez accepté d'élever l'enfant de Maria, soufflai-je.

La Tour d'Ivoire - Tome 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant