La Tour d'Ivoire - Tome 4

Prologue

"La meilleure façon de se défendre est de ne pas imiter l'offenseur."

Marc Aurèle

Plus de 30 ans auparavant...

            La jeune femme entendait sa respiration devenir de plus en plus saccadée, la peur lui nouait l'estomac et lui brisait les côtes.

            Elle se força à regarder, à ne pas détourner les yeux.

            Elle était déjà venue de nombreuses fois ici, mais jamais seule. Layia avait toujours été là, avec elle.  Elle la revoyait, droite et fière, ses yeux étincelants de passion et d'une détermination farouche. Déterminée à protéger son trésor.

Un trésor que la jeune femme s'apprêtait à voler.

            Un trésor inestimable, vieux, si vieux que personne sur terre ne se rappelait véritablement quand il avait été conçu ni par qui, d'ailleurs.

            La jeune femme se força à regarder, encore et encore.

            Enfant, on lui avait conté que si elle regardait trop longtemps la relique, les éclats d'obsidienne lui brulerait la rétine.

            À présent, elle regardait, mais ses yeux voyaient toujours.

            Un mensonge de plus, pensa la jeune femme. Combien d'autres lui avait-t-on racontés depuis son enfance ?

            Elle laissa son regard sombre glissé sur le matériau précieux, le plus résistant de la planète, racontait-on. Si puissant, si résistant, que les hommes avaient choisi de ne pas le nommer, par respect autant que par crainte.

            L'armure était indestructible, d'une beauté à couper le souffle. Elle rappelait la nuit et ses étoiles scintillantes, mais également la mort, l'harmonie et la peur.

            Elle représentait bien celle qui l'avait un jour portée.

            Les lieux étaient tellement imprégnés de sa présence qu'elle aurait juré qu'elle était à ses côtés, un sourire sur les lèvres, occupée elle aussi à contempler l'armure qu'elle avait jadis portée, lorsque la vie coulait encore dans ses veines et que le feu sacré embrasait ses iris.

            La jeune femme sentit soudain une main se glisser dans la sienne. Une vague de sérénité l'envahit.

            Elle se tourna et contempla le visage éblouissant de Tristane. Les flammes se reflétaient dans ses yeux d'or pâle, tandis que ses cheveux roux prenaient une teinte rouge sang. Sa peau, aussi mate que la sienne, était plus pâle qu'à l'ordinaire. Il avait autant peur qu'elle. Cela ne la rassurait pas du tout.

            Elle avait rencontré Tristane quelques mois auparavant, après la mort de Danaé.

            Elle serra avec force sa main.

            Le souvenir de sa meilleure amie lui faisait toujours cet effet. Une flèche en plein cœur, un coup de poignard dans le ventre. Elle connaissait bien la souffrance physique, elle avait grandi auprès d'elle, mais rien dans toute sa vie n'avait été aussi douloureux que la perte de Danaé.

            Elle lui apparaissait souvent en rêve, et parfois, il lui arrivait encore de l'apercevoir au détour d'un couloir, d'une maison. Ses cheveux noirs étaient les mêmes, bouclés et soyeux, ses yeux noisette, toujours aussi limpides, et sa peau, de la couleur de la nuit et non grisâtre comme la brume. La jeune femme savait que Danaé n'était plus, qu'elle pourrissait sous le sable brulant de leur contrée natale. Mais elle ne pouvait l'oublier. Peut-être était-ce cette incapacité à la laisser partir qui avait poussé la jeune femme à chercher inlassablement les véritables raisons de la mort de son amie.