Tal-Ora

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Les arrogants ne font rien d'autre que d'édifier des châteaux où ils cachent leurs craintes et leurs doutes.


Frank Herbert

Il y a bien bien longtemps ...

Talik

Longtemps après que cet évènement eut lieu, Talik se demandera toujours si sa mère n'avait pas senti que les choses se passeraient ainsi.

Sa mère avait toujours cet air un peu préoccupé, ce regard qui virevoltait partout, comme si elle était traquée. D'aussi loin qu'il se souvienne, elle avait aussi toujours eu ce pli soucieux sur le front et le teint pâle de fatigue. Il l'avait souvent questionné pour comprendre d'où venaient cette angoisse constante et cette impossibilité qu'elle avait à se détendre. Elle n'avait jamais rien dit, répondant par des excuses si peu convaincantes que le garçon avait vite cessé d'y croire.

Ce jour-là, Talik ne le savait pas encore, mais il allait enfin partager le secret de sa mère.

Comme chaque soir, le jeune garçon de 10 ans mit les deux assiettes sur la table, une pour lui et une pour sa mère, et s'assit avec un livre sur le perron. Ils habitaient un petit village perdu du Maroc, Talik connaissait presque tous les habitants qui y vivaient. Et souvent, certains venaient lui parler lorsqu'il attendait sa mère. Mais ce soir-là, la rue était étrangement calme. Cela aurait dû l'alerter, sa mère, elle, aurait tout de suite compris que quelque chose clochait, mais Talik était un garçon rêveur, protégé par sa mère de la dangerosité du monde.

Talik consulta sa montre. Sa mère aurait dû rentrer il y a 10 minutes déjà. Elle était médecin et ne comptait pas ses heures, mais le vendredi, elle veillait toujours à rentrer tôt pour leur traditionnelle soirée jeux. Ce deuxième indice aurait dû finir d'alerter le jeune garçon, mais il se replongea dans son livre, déjà ailleurs.

Soudain, des coups de feu retentirent. Talik lâcha son livre et se releva, paniqué. Il savait que le monde était en proie depuis des années aux guerres et à la violence, il savait que des hommes et des femmes construisaient une Tour pour y échapper, un lieu qui serait à jamais inaccessible à Talik, sa mère n'ayant pas été choisie pour y vivre. Oui, le garçon savait que le monde était instable, mais pas ici, pas dans son village perdu.

Il resta paralysé quelques minutes, puis il pensa à sa mère. Ce fut comme un électrochoc. La voix de sa mère résonna dans sa tête :

— Si jamais il arrive quoi que ce soit, Talik, et que je ne suis pas là, va prendre le sac à dos que j'ai caché dans le faux sol de la remise. Il y a le nécessaire pour vivre, ainsi qu'une lettre, tu les prends, et tu pars te cacher au rocher du soleil couchant, compris ? Si je ne viens pas, lis la lettre.

Depuis la première fois que sa mère l'avait chargé de cette mission, il y a déjà 3 ans de cela, elle ne cessait de lui rappeler. « Tu te souviens du sac ? », « Rappelle-moi, Talik, que feras-tu si jamais un danger arrive ? ».

Il n'avait jamais eu le courage d'aller voir ce que contenait le sac ou la lettre. Certes, sa mère lui avait interdit d'y toucher, mais cela dépassait cette simple interdiction : il avait peur. Ce sac et son contenu l'effrayaient. Ils signifiaient danger, instabilité et mort.

Sans tergiverser plus longtemps, Talik courut au fond de leur jardin, trop désorienté pour se souvenir de l'endroit où sa mère cachait la clé, il enfonça le loquet de la serrure avec un marteau. Il se saisit du sac à dos, un peu lourd pour sa taille, et courut vers la sortie de la ville.


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Eliara


La Tour d'Ivoire - Tome 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant