Au son du passé

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"Ce qui commence par le mal s'affermit par le mal."

William Skaespeare

Ayaan

12 ans avant...

            Ayaan détestait qu'on lui donne des ordres. Heureusement pour lui, peu de personnes pouvaient se targuer de pouvoir lui en donner. Du haut de ses 13 ans, il exigeait qu'on fasse preuve envers lui de tout le respect que son nom impliquait. En revanche, face à ses parents, et notamment son père, il n'était qu'un enfant sans aucun pouvoir.

            Le garçon savait qu'il lui devait tout, son nom, son héritage et un jour, son pouvoir. Mais l'exigence de son père était insatiable. Jusqu'à présent, le garçon s'était toujours révélé à la hauteur.  Ayaan comptait bien sur le fait que ça continue, il voulait gagner chaque miette de pouvoir qui lui venait de son père, même s'il savait pertinemment que cela ne serait jamais suffisant pour ce dernier.

            Ce jour-là, il s'était minutieusement peigné les cheveux, et avait enfilé – avec l'aide de ses domestiques – son plus beau costume rouge sang pour impressionner son père. Il avait rendez-vous avec ses deux parents dans leur salon commun, celui dans lequel ils recevaient leur invité de marque. Ayaan trouvait ce cérémonial un peu excessif, mais après tout, cela correspondait à la grandeur de leur rang.

            Il ne savait pas pourquoi ses parents avaient exigé de le voir, jamais son père ne prenait la peine de lui dire la raison de leurs entrevues. Ayaan savait bien que c'était une manière de garder la main, de lui rappeler qui avait le pouvoir. Ne pas savoir ce qui nous attendait empêchait toute potentielle préparation et souvent, Ayaan devait surmonter la peur qui le tenaillait lors de ces entretiens mystères. Le jeune garçon avait donc acquis, au fur et à mesure des années, une capacité à brider ses pensées et émotions, à être capable de rebondir et à s'adapter à n'importe quelle situation, à n'importe quelle annonce, à n'importe quelle réplique cruelle de son père.

            Il se souvenait très bien de ce qui se passait lorsqu'il décevait son père. Il avait à peine 3 ans lorsqu'il avait gouté la première fois à la violence de son père. Ce jour-là, il avait seulement laissé échapper quelques larmes lorsque son père lui avait faire remarquer qu'il était petit et faiblard pour son âge. Son père avait vu ses yeux s'humidifier, mais son géniteur détestait par-dessus tous ce genre d'émotions, qu'il associait à la faiblesse. Le premier coup était alors parti, brutal, froid. Le petit garçon qu'il avait été n'avait fait qu'en pleurer davantage, alors Melech avait continué à le rouer de coups, jusqu'à ce qu'Ayaan comprenne, seul, que les coups pleuvaient seulement parce qu'il pleurait. Il avait fini par ravaler ses larmes, sa tristesse, et son père avait cessé sa cruelle besogne. Son père l'avait alors saisi par le menton, le forçant à croiser son regard orageux. Ayaan se souvenait très bien des paroles qu'il avait prononcé :

            -Pleure encore une fois, plains-toi encore une fois, et je te promets que je te battrai si fort que tu n'auras même plus assez de force pour chouiner. Si tu ne deviens pas plus fort, si tu ne me rends pas fier, je te promets que je ferai en sorte que plus jamais tu ne puisses voir ta faiblarde de mère qui t'a transmis ses sensibleries féminines, c'est compris ?

            Ne plus voir sa mère était pour le bambin qu'il avait été inenvisageable, alors Ayaan n'avait plus jamais pleuré. Sa mère était bien la seule touche de douceur dans sa vie.

            La tête haute, ses émotions enfermées à double tour au fond de son âme, Ayaan entra dans le petit salon.

            Les touches subtiles de bois noirs qui venaient harmonieusement se marier avec les teintes blanches et claires de la pièce rendaient les lieux plus froids que chaleureux. Mais peut-être était-ce seulement parce que le foyer qui y était établi n'avait rien d'une famille aimante.

La Tour d'Ivoire - Tome 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant