Chapitre 7

75 10 10
                                    

Je contemplais la clarté incandescente des néons bleus et violets qui réfléchissaient sur les vitres teintées de la limousine et je me laissais bercer par le bruit paisible du vrombissement inaudible des lieux. Tout était calme. Au point que je me serais presque endormie si Maxence, ne m'avait pas fait une proposition dont je ne saisissais pas les enjeux.

— Je ne comprends toujours pas pourquoi tu veux que j'aille lister tous les centres commerciaux du coin... ajoutais-je pour briser le silence.

— Fais-moi confiance.

— J'ai besoin de savoir.

Maxence débusqua une bouteille de champagne Dechardot coincée dans le piètre réfrigérateur, et apposa une coupe de cristal sur le bar miniature.

— Je veux faire quelque-chose de nouveau. Quelque chose que je n'ai encore jamais fait. dit-il tout en se servant.

— Dans un centre commercial ?

— Entre-autres.

Il nous proposa un verre en nous tendant l'embout, mais je m'empressai de refuser. De fait, il referma de nouveau la bouteille en insérant délicatement le bouchon en liège. Cette fois-ci, il avait l'air plutôt serein et donnait l'impression qu'il gérait complètement la situation.

— Et pourquoi vouloir prendre des danseurs qui viennent du Bronx, pour les emmener à New-York ?

— Je t'expliquerai plus tard.

— Et le producteur ? Qu'est-ce qu'il en dit ?

— Aucune idée. On n'en saura plus ce soir.

— Ce soir ?

Je jetai furtivement un œil vers Issan et le dévisageai contre mon gré, mais ce dernier n'avait pas l'air d'être au courant.

— Nous le rejoignons au Club 31...

— Et si je ne veux pas faire équipe avec Issan ? demandais-je tout en fixant l'intéressé.

— Personne ne te forcera. Mais je préfère que tu ne sois pas seule.

— Tu l'as recruté pour toi ou pour moi ?

La carriole s'arrêta brusquement, nous étions arrivés. Aussitôt, Maxence s'empressa de descendre, tandis que je continuais de fixer Issan. Il avait pourtant été très conciliant depuis qu'il a été engagé, mais je ne savais pas pourquoi, m'éloigner de lui devenait vital.

— Pour nous deux. répondit-il à ma question avec un temps de latence. Vous venez ?

Nous descendîmes, sans un mot, l'un après l'autre et restâmes plantés devant la voiture. Maxence, lui, nous attendait déjà à l'entrée.

— Tu ne viens pas ? me demanda Issan, l'air désemparé.

— Je préfère rester dehors. J'ai besoin de prendre l'air.

— Je ne viendrai pas avec toi demain. Nous ferons équipe séparée. J'irai au Bronx voir des vieux amis, ça sera plus simple.

— Oui, c'est mieux comme ça.

— Tu penses que tout ira bien ?

— Pourquoi cette question ?

Il prit un vieux morceau de papier chiffonné qu'il griffonna sur la carlingue, puis inscrit d'une série de chiffres plus allongés les uns que les autres.

— Je te laisse mon numéro au cas où. m'annonça-t-il fébrilement avec son accent suave.

Je le saisis du bout de mes doigts, le lorgnai jusqu'à ce que je m'avachisse sur le premier banc venu et le nichai dans mon sac comme un vulgaire mouchoir. Le temps que je relève les yeux, Maxence et Issan avaient pénétré le bar. Ce dernier avait l'air plus que douteux et j'étais heureuse de ne pas y avoir été. Il était loin, mon envie de reluquer toutes les créatures charnelles du coin.

Je profitai alors de ce moment de calme pour contempler les étalages des magasins dont les commerçants n'avaient pas encore éteint leur vitrine et je me laissai porter par une force harassante, une force que je n'avais encore jamais ressentie. Une heure, deux heures, puis trois heures passaient. Je lutais pour rester éveillée, mais finit par m'assoupir sur le banc, et ce, jusqu'à ce que je discerne le timbre sarcastique du producteur et la voix volatile de Maxence en train de capituler.

— Soit ! énonça-t-il avec patience. Je vous laisse deux jours pour me convaincre que j'ai bien fait de vous faire venir ici.

— Ce sera fait !

— Nous verrons bien...

Le producteur claqua si violemment la porte que mon envie de dormir se dissipa soudainement ; et parce que je n'avais plus de repères, j'examinai les aiguilles de la pendule accrochée à un vieux lampadaire de fer oxydé situé au-dessus de moi. C'est à cet instant que je vis qu'il était déjà plus de 5 h 30 du matin et je commençais à m'inquiéter. Maxence, de son côté, fit signe à Issan de se mettre au travail et s'éloigna de moi sans prêter attention.

Le délai étant trop court, je n'avais plus le temps de me reposer. C'est ainsi que je me levai tout en titubant et déambulant seule dans les rues toujours sombres de la capitale avec pour boussole mon téléphone fissuré. J'ouvris l'application non sans difficulté et je peinai à distinguer la carte qui s'affichait sur l'écran. Celui-ci craquait à chaque passage de mes ongles sur les rainures et j'implorais tous les astres pour que le système électronique tienne jusqu'à la fin de la journée.

En observant de près toutes les icônes écarlates de ce vieil atlas numérique, je réalisai qu'une zone principale était réservée à tous ces bâtiments et que je m'éloignais progressivement de l'hôtel. Quelques noms retinrent néanmoins mon attention et je les notai dans mon petit carnet. C'est ainsi qu'Hudson Yard, The Shops at Columbus Circul, et Le Fulton Center figuraient en tête de liste.

En quelque temps, je parcourus une vingtaine de mètres afin de me rapprocher le plus possible d'un moyen de locomotion tout en réduisant les frais. Je ne savais pas si en pleines rues de l'Upper West Side, il valait mieux attendre un bus ou se jeter sur les immenses routes de la 86st pour harponner le premier taxi qui croiserait ma route. Si cela donnait l'impression de sortir d'un film américain, cette action était pour autant la solution adéquate du moment.

Après une longue hésitation et parce que les minutes semblaient passer comme des secondes, la deuxième option fut, pour le moins, la plus adaptée à mes besoins. Cependant, n'étant pas sûre de réaliser ce que j'étais vraiment en train de faire, je pris un instant pour inhaler le quelque peu d'oxygène qui brimbalait dans l'air pollué par le gazole et l'essence.

Une fois fait, je m'engouffrai entre les véhicules, tous parqués successivement dans une file interminable. C'est ainsi que la main levée, la tête retournée et les yeux plissés, je m'insérai dans cet enchevêtrement de boîtes métalliques comme si cette succession d'actions allait changer quelque chose à mon destin.

— Taxi ! criais-je avec l'accent américain pour ne pas me faire passer pour une touriste, bien que cela soit déjà fait.

Si le premier taxi accéléra en guise d'ignorance, le deuxième, se gara devant moi puis s'avança, clignotant cliquant et vitre abaissée.

— Where do you want to go ? (Où voulez-vous aller ?)

— Hudson Yard please. (Hudson Yard, s'il vous plaît)

Un Chanteur à New YorkOù les histoires vivent. Découvrez maintenant