Chapitre 11

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Les jambes loties sous un duvet de plumes et tasse de thé brûlante entre mes paumes, j'inspirai l'émanation vaporeuse qui voletait entre mes narines. Puis, je soufflais sur la buée pour refroidir les bords en porcelaine avant de boire la préparation dont la pointe de vanille me faisait frissonner. Je me sentais apaisée à chaque fois que je combinais ce rituel, et je le faisais dès que j'en avais besoin. Une pause s'imposait. Je me blottis ensuite contre les coussins de fibre et de coton, puis je me laissais porter par cette chaleur enivrante relâchée par mon corps au contact de la couverture. Cela faisait longtemps que je rêvais de cette accalmie et en faisant cela, j'avais l'impression que je pouvais encaisser n'importe quel mot, ou phrase qui pourrait me perturber. Personne, enfin, ne viendrait m'extirper de mon bien-être.

Je n'aurais jamais imaginé que tout irait si vite. Le travail de Maxence avait enfin fini par porté ses fruits. Toutes ces années de labeur à gratter sur le papier des paroles et des partitions avaient fini par avoir un sens. Il ne s'agissait plus d'un sacrifice, mais plutôt d'un retour sur investissement. Ce qui était plutôt rare dans ce milieu. Sans m'y attendre, Max avait explosé tous les scores sur internet et s'était retrouvé sur une célèbre émission américaine habituellement destinée aux plus grandes étoiles de ce monde... Et ce même soir, je réalisais l'engouement que le public pouvait porter à l'homme qui partageait ma vie à travers le téléviseur.

Lorsqu'il rejoignit la scène, l'auditoire s'embrasa et s'émoussa en hors des sièges. Les applaudissements effervescents firent crasher les amplificateurs au point que je dus descendre le son avec ma télécommande. L'animateur, qui ne présageait pas non plus une telle ardeur de la part de ses habitués, dégringola faussement de son siège. Il était choqué de cette ferveur qui était destinée à cet "inconnu". Enlisé dans un rire incontrôlé, ce dernier mit un temps avant de lui faire une accolade. Maxence était tellement attendu que le présentateur qui avait quelques notions en langues étrangères décida de lui parler français. Une première pour une star venant de l'autre continent.

J'étais ravie de voir l'accueil qu'on pouvait lui faire et je me disais qu'enfin les mauvaises langues finiraient par se taire. Enfin, on s'en sortirait et enfin sa sœur serait sauvée. Toutefois, ma joie allait encore se dissiper. Rapidement, les évènements prirent une tout autre tournure. Une que j'aimais moins, mais qui ressemblait le plus à ce que je vivais ces derniers temps.

— Venez ! Asseyez-vous, oui voilà, ici ! Énonça Le présentateur. Alors comme ça, vous êtes un sacré numéro !

— Oui. affirma Maxence avec un rire gêné.

— Vous savez combien de vues, vous avez réalisé ?

— Non, je n'ai pas encore regardé...

— Presque 1 million en une journée !

— Vraiment ?

Le public applaudit frénétiquement, dévoilant toute l'empleur de cette prouesse.

— Alors qui vous a donné cette idée de faire danser le Bronx chez nous ? Qu'est-ce qui vous a attiré dans cette démarche ?

— Je l'ai fait pour mon nouvel ami. Ça lui tenait à coeur alors j'ai fini par accepter. On peut tous un devenir un jour, une personne que l'on mettra de côté parce que l'on ne sera pas le bienvenu. Et c'est d'autant plus le cas pour ce peuple.

— Et qui vous a aidé à réaliser tout ce travail ?

— Je me débrouille, j'ai un bon producteur et des bons collaborateurs. déclara-t-il sans réfléchir

L'entrevue avait à peine commencé que je me retournais à l'idée de m'éloigner à nouveau de lui. Il ne m'avait pas mentionnée et Maxence devenait, en une seule soirée, l'objet de toutes les discussions et de toutes les convoitises. Je l'imaginais déjà, à travers le cathéter, faire languir les demoiselles et femmes au foyer sur la première chaîne de la télévision américaine. Bien que cette idée me déplût totalement et que j'aurais dû m'y accoutumer depuis le temps, je n'arrivais pas à me détacher de cet appareil. Si j'essayais parfois de détourner le regard, je restais contre mon gré, les yeux rivés dans la même direction, captivée par cet écran de plasma noir et ensorcelée par les paroles du présentateur. Au fond, j'espérais qu'à un moment, il finirait par parler de moi et je ne voulais pas perdre une fois de plus, mais je ne me berçais pas d'illusion.

— J'aimerais vous poser une question, qui intéresse beaucoup de monde ce soir ! En particulier les jeunes demoiselles... Avez-vous quelqu'un dans votre vie ?

Maxence s'esclaffa. Son visage s'était de nouveau crispé. Je savais que cette question le dérangerait, mais je ne pensais pas que ce serait au point de ne pas répondre.

— Alors, je suppose que vous êtes libre ! Beaucoup de femmes vont être heureuses de l'apprendre. renchérit le commentateur.

— Je me projette sur mon travail. C'est le plus important.

Je n'en revenais pas. Mon cœur avait soudainement cessé de battre et de se destituer de sa demeure. Je ne sentais plus rien, ni mes membres, ni mon visage. Le temps s'était paralysé avec mon corps et mon être. Subséquemment, une douleur aigre et lancinante aiguisait toute la paroi de ma trachée. Je ne pouvais plus réfléchir. Je me sentais vide. Alors, pour lutter contre ce désespoir, je me précipitai jusqu'à la fenêtre et écartai l'échancrure de plastique pour reprendre mon souffle, mais en tirant sur la poignée, je propulsai la boîte que j'avais récupérée à la bijouterie. Celle-ci se brisa en deux et se disloqua sur le parquet.

Tremblante, je me baissai pour reprendre les morceaux et réalisais que Maxence m'avait encore oubliée. Tandis que je ramassais les éclats de satin, je découvris une montre dissimulée sous les plis du sac. Une lueur, celle de la lune, fit immédiatement briller le nom gravé d'une autre fille. Une fille que je connaissais bien... Jade. Je savais que je devais être heureuse de voir que Maxence tenait tant à sa sœur, mais cela faisait trop longtemps qu'il m'avait fait disparaitre de sa vie.

Je ne sais même pas s'il se souvenait de cette promesse qu'il m'avait faite et qu'il m'avait supplié d'accepter. J'agonisai.

Le temps que j'avais passé avec lui...

L'énergie que j'avais mise dans cette relation...

C'en était trop. Cette pièce était trop étouffante et ce corps était trop étroit. Il fallait que je sorte d'ici et vite. Au fond de moi, je sais que si je restais à cet endroit, je me noierais dans mon amertume, je crierais le nom de ce salaud qui a gâché ma vie et je dépècerai les murs de leur toile vierge. Alors, je saisis un instant pour me calmer, claquai du point la table puis pris mes clés accrochées au pas de la porte.

Un Chanteur à New YorkOù les histoires vivent. Découvrez maintenant