Chapitre 9

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C'était Maxence. Il m'attendait impatiemment dans la salle d'accueil et s'était installé sur le canapé imitation daim. Il avait l'air pressé. De mon côté, je n'avais qu'une hâte, celle de gravir les marches qui menaient à ma chambre et de me jeter sur le lit. Je m'imaginais déjà me lotir dans la délicatesse des draps de plumes et de cotons, après avoir pris un bain chaud à l'huile d'hibiscus et de coco. Je sentais mes muscles se relâcher à l'idée de me relaxer, mais cette envie s'estompa soudainement lorsque mon futur mari traîna une chaise contre le carrelage du restaurant de cet immense palace. Le bruit grinçant me scia les oreilles et me fit frissonner d'angoisse. Le sol était dissonant et son interprète avait perdu la bonne partition.

— Assieds-toi, je te prie. me dit-il en me tenant le poignet.

J'arrimai mon regard dans l'abîme de ses iris, puis je m'exécutai en laissant ma carcasse s'écraser sur la chaise comme un vieux morceau de chiffon morne. Je profitai de cette courte pause pour contempler la décoration des couverts et de ses subtils mis en plis. Les laquais avaient, en effet, noué un joli nœud ocre sur chaque courbe qu'ils avaient disposée sur la nappe ; et je n'arrivais plus à quitter des yeux ses magnifiques perles d'or. Bien que tout était parfaitement décoré, des fournitures se trouvaient en surplus. Trois assiettes, verres et serviettes se chevauchaient presque.

- Quelqu'un doit arriver ?

Maxence demeura silencieux, peut-être de peur de me froisser encore plus que d'habitude et fixa une personne qui se mouvait derrière lui comme pour ignorer son malaise. Il se racla la gorge pour éviter ce moment de gêne, car en réalité, l'invité était déjà présent. Il était simplement en train de tendre son manteau aux réceptionnistes et je ne l'avais pas remarqué. Ceci dit, je me demandais pourquoi la présence de cet "invité" m'étonnait encore. En soi, Issan était devenu le bras droit de Max et le premier homme à qui il confiait toutes les tâches. J'avais pour le cas de le dire du mal à m'y faire. Je réalisais que je n'avais plus grand-chose à apporter ici, à part observer la scène comme un spectateur qui attend que le rideau se lève.

Issan s'assit à son tour, puis Maxence en fit de même. À côté, ce dernier paraissait chétif, auprès de son garde du corps. Les cheveux mi-longs bruns, les yeux charbon, la barbe mal rasée, la peau claire et les joues creusées, Maxence était l'opposé d'Issan. Il l'était en caractère aussi. Pourtant, il était devenu plus proche de lui que de n'importe quel autre employé et le malaise allait vite venir. Alors qu'ils étaient en pleine discussion, Maxence se tourna vers moi et approcha son visage prêt de mon cou.

— Alors, as-tu trouvé un lieu cet après-midi ? me demande-t-il langoureusement.

— Non, pas vraiment, non.

— Que s'est-il passé ?

Un serveur survint pour nous apporter les apéritifs. Il dressa sur la table, une filature de mises en bouche avec quelques fioritures en hors d'œuvres. Je profitai de cette intervention pour réfléchir et fit une légère pause avant de lui répondre.

— Les lieux ne sont pas adaptés, trop lumineux, trop bruyants, je ne suis pas sûre que l'on remarque ta prestation...

J'entendais ma voix s'éteindre, et je n'osai pas parler du Brookfield Place, n'ayant aucune idée de ce à quoi ce lieu ressemblait, je préférai me taire afin de n'avoir aucune question inopportune.

— Et tu as d'autres pistes ?

— Je ne suis pas sûre.

Je baissai les yeux, et délogeai quelques perles coincées entre deux anses de tissu pour me distraire. Visiblement gêné, Issan intervint.

— La Gare Central de New York...

Je le fixais, attendant avec impatience la fin de sa phrase, mais il enchaîna rapidement.

— Elle pourrait faire l'affaire.

Je levai discrètement mes paupières et dirigeai mes deux pupilles noires de dépit en direction de cet homme qui, tout à coup, avait pris ma place. J'ai conscience qu'un remerciement de ma part aurait été la chose la plus convenue, mais je n'y arrivais pas. Je devenais une ombre planant dans les ténèbres, essayant tant bien que mal de rejoindre la lumière et de trouver un sens à l'échine de son existence. Tout le reste du repas, je subsistais dans le désespoir. Complètement mutique, le silence était devenu mon nouveau langage et personne ne paraissait l'avoir remarqué.

Quelques instants plus tard, le dîner se clôturât sans encombres. Ma journée était enfin terminée, et j'étais ravie de pouvoir confier mon repos aux dieux les plus avisés. Maxence m'aida à me relever et déposa sa veste sur mes épaules, tandis qu'Issan s'assujettissait devant moi. Je fis mine de l'ignorer, mais de manière entièrement inattendue, Maxence intervint.

— Il aimerait te parler. J'ai discuté avec lui cet après-midi.

— Je n'ai pas envie.

— Tu devrais y aller. Vraiment. insista-t-il d'un ton grave.

Il m'exhorta de le voir en tête à tête afin d'éclaircir une situation dont lui seul semblait connaître le motif ; et je cédai à sa demande sans un terme de plus, épuisée de débattre avec un homme qui avait toujours le dernier mot. Je rejoignis donc Issan dehors, à l'abri d'individus qui pourraient se révéler indiscrets, puis je serrai ma veste contre ma poitrine lorsque ma peau se crispa au contact du froid.

— Qu'y a-il de si important à me dire ?

Sans un bruit, Issan me tendit une petite boîte de carton blanche de forme rectangulaire. Celle-ci avait des inscriptions argentées et venait d'une marque très connue.

— Je voulais te l'offrir avant, mais j'attendais de recevoir le salaire de mon ancien travail.

Issan esquiva mon regard, de peur que je le juge et dandina son corps tandis qu'il enfonçait ses canines dans sa lèvre inférieure. J'ouvris la boite en sachant pertinemment de quoi il s'agissait, mais ce qui m'étonnait le plus, c'est sa complète indifférence simulée depuis le début de notre rencontre. Pour quelles raisons faisait-il mine de ne pas me reconnaître ?

— Merci Issan.

Il releva la tête, rassuré de n'avoir pas pris une boule de terre sur son visage.

— J'aurais aimé te prendre le modèle supérieur, mais je n'avais plus assez d'argent.

— C'est bien assez suffisant. Ne t'en fais pas.

— Merci d'avoir accepté de me parler.

— Tu devrais aller te reposer, tu as bien travaillé aussi aujourd'hui. As-tu un endroit pour dormir pour ce soir ?

— Non, j'ai dû quitter mon logement, mais ça ira. m'annonça-t-il avec le sourire.

— Max t'a réservé une chambre cet après-midi. Tu devrais accepter.

— Je...

— Je vais aller me coucher. Je te dis à plus tard.

Je rangeai mon nouveau smartphone dans la boîte et je m'approchai de la porte d'entrée. J'étais épuisée et j'avais hâte de rentrer. Je n'arrivais plus à tenir la fatigue, mais Issan me suivit quand même et m'agrippa le bout de la manche, la commissure de ses lèvres légèrement fendue.

— Attendez !

Je le voyais osciller devant moi, visiblement troublé par mon attitude. Je sentais qu'il n'avait pas envisagé la manière dont je réagirai. Encore que, je n'arrivais toujours pas à apprivoiser sa présence et je n'arrivais plus à désamorcer la conversation ; alors, je préférai me contenir à ce que je savais faire comme si rien ne me touchait.

— Bonne nuit Issan.

Je le laissai dehors, complètement inerte et décontenancé, tandis que je me dirigeai vers mes appartements.

Un Chanteur à New YorkOù les histoires vivent. Découvrez maintenant