Chapitre 3

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J'étais avachie sur le bitume, avec Maxence entre les bras, toujours sous cette immense averse. Il respirait à peine, et je sentais son souffle s'éteindre sur ma poitrine. Son corps refroidissait lui aussi, et bien que je tentais réchauffer nos deux chairs pétrifiées en le serrant le plus fort possible, je sentais que ma force faiblissait elle aussi. Je ne pouvais plus crier.

L'hôtel était juste en face de nous, situé seulement à une traversée, mais étant enchevêtrés dans l'opaque brouillard, nos silhouettes étaient à peine visibles. De part cette conséquence, je priai pour que quelqu'un nous remarque, et pour une raison qui m'était complètement obscure, ce souhait fut réalisé au moment même où je le prononçais. La pluie fut interceptée rapidement au dessus de nous par un magnifique tissu noir. C'était le maître d'hôtel qui, par une bravoure qui était donnée à peu, avait accouru vers nous pour nous venir en aide. Je le reconnus, car il portait une odeur forte de fleur de jasmin. Une fragrance que l'on pouvait sentir dans tout le bâtiment, au point que toute ma valise, elle aussi, en fut imprégnée.

Ce dernier voulait appeler les pompiers, mais je me contentais de lui faire comprendre que je refusais. Il fallait éviter tout futur tabloïd. Il se baissa alors comme si de rien n'était, me tendit ses mains aux gants blancs de velours et me recouvrit le dos de sa veste noire en laine et satin. Il me laissa ensuite le manche rugueux du parapluie entre les paumes, puis saisit Maxence pour le dresser sur ses épaules. De mon côté, j'attendais sur l'accotement un moment, le temps de reprendre mes esprits ; puis, parce que je n'avais plus tellement conscience de ce que je faisais vraiment, je me redressai tout en essayant d'éviter ma blessure ensanglantée au talon. Par la suite, je tentai de rejoindre le grand hall de l'hôtel. Je boitillais, mais je réussis tout de même à traverser tous les obstacles qui se tenaient devant moi. Une par une, je gravis les marches jusqu'à la chambre, et rejoins Maxence qui lui était installé dans les draps gracieusement pliés.

Je remerciai grassement le jeune garçon et lui présentai un billet qu'il rejeta devant moi. C'était la première fois que l'on me déclinait un pourboire, et j'en étais profondément émue. J'en profitai également pour lui rendre son vêtement. Celui-ci me fit une révérence, puis quelques secondes après, s'éclipsa sans un mot. Je savais que nos vies avaient changé, depuis que Maxence avait excellé dans sa carrière d'artiste, mais c'était toujours aussi difficile pour moi. Au point que je finissais toujours par me demander si chaque personne que je croisais était toujours sincère, et c'était bien ça le problème. La réalité se fondait de plus en plus avec mes projections et mes peurs, celles de ne plus reconnaître la sincérité du mensonge, et cela me pesait de plus en plus.

Si vous croyez qu'elle s'arrêtait dans la sphère des fans, ainsi que de ceux qui nous servaient, ce seraient biaiser tous mes souvenirs, voire les mettre à néant. Dans nos dernières maisons de disques, les producteurs et autres managers avaient, eux aussi, pour mauvaises habitudes de nous apprécier au moment où cela les arranger le plus. Il ne me restait plus que quelques membres de ma famille en qui je pouvais encore faire confiance, car même les nouveaux amis étaient à proscrire. Me voyant constamment rempli de suspicion, j'avais fini par être dans le collimateur de nos collaborateurs, qui auraient sans doute préféré me voir fermer les yeux et marcher dans le vide. Je peux dire à bien des égards, que je regrettais amèrement notre premier label qui lui, avait pourtant fait part de tout son respect.

Si c'était le seul problème que je rencontrais, je me serais dit qu'il suffisait de faire un peu de méditation ou de course à pied pour apaiser mes ressentiments. J'eus cependant le malheur de découvrir que les travers des uns, entachés la droiture des autres et qu'avec un peu d'éloquence il était facile, de convaincre. C'est ainsi que je vis Maxence, plonger dans l'alcool, la cigarette et à quelques occasions la drogue, et c'était une chose que je ne pouvais plus supporter.

Je profitais alors, de son profond sommeil, pour lui faire à nouveau les poches, et comme il en était d'usage, mes découvertes furent à la hauteur de mes désespérances. Comme je pouvais me douter, je retrouvai toutes sortes de bibelots et de produits illicites dans ces affaires. Assise sur la table, je sortis d'abord un à un chaque objet, les découpai en petit morceau à l'aide de ciseaux pointu, puis fit des allers-retours incalculables jusqu'à la poubelle située sous la table de chevet. Elle frôlait presque le visage de Maxence.

Ce dernier, qui était gêné par ce manège, commença à se réveiller. Au bout du quatrième allers venu, Maxence m'agrippa le poignet sans que je m'y attende. Mon sang ne fit qu'un tour et mon cœur cogna contre ma cage thoracique. Cela faisait bientôt un an, qu'il ne m'avait pas touchée et j'avais effacé de ma mémoire, la rugosité de son doigté. Sa guitare avait fait subir à son corps, ce que son âme était en train de devenir.

- Ne me laisse pas ! lâcha-t-il

Je ne comprenais pas d'où venait soudainement cette terreur de l'abandon, lui qui jusqu'ici n'avait peur de rien. Je me contentai donc de me retourner sans rien dire et me murai dans le silence, jusqu'à ce qu'une larme lui parcoure la joue.

- Pourquoi ?

- Rien...

- Que s'est-il passé au bar ?

- J'essayais d'oublier.

- Oublier quoi ?

- Oublier tout... s'indigna-t-il

Je le fixais, espérant qu'il n'en dise plus, mais je le connaissais depuis tellement longtemps que je savais, qu'il ne parlerait pas de lui-même.

- Où est passé Josh ?

- Il est parti...

- Qui va faire la sécurité maintenant ?

- Je ne sais pas encore.

- Quelqu'un va le remplacer ?

- Je ne sais pas trop...

- Comment ça ?

- Demain, je passe un entretien avec deux inconnus... Et ce n'est pas le plus problématique.

Je commençais à comprendre, qu'il m'embarquait dans les abysses et que je n'avais plus le choix que de le suivre. Moi qui hésitais à mettre fin à cette relation... Qui me disait que ce serait peut-être le moment de lui annoncer que c'était la fin, mais je ne pouvais m'empêcher de savoir.

- Que veux-tu dire par là ?

- L'hôpital de ma petite sœur a appelé.

Il prit une inspiration.

- Son état se dégrade. Si je ne trouve pas rapidement quelqu'un à la hauteur, je devrais annuler le contrat.

- Je ne suis pas sûre de comprendre.

- On sera ruiné et je ne pourrais jamais plus aider Jade.

Jade... C'était la plus petite des sœurs de Maxence. Elle avait tout juste six ans et la vie ne l'avait pas gâtée. Atteinte d'un lymphome bien avancé, son pronostic vital était engagé. Elle commençait à perdre ses belles boucles dorées et ses couleurs vives. Son teint, lui, était devenu livide et ses yeux vitreux. La mort, pour ainsi dire, était en train de creuser ses pommettes bambines. En somme, comme le temps était compté, Maxence avait tout simplement décidé qu'un hôpital privé serait le mieux et je ne pouvais pas lui en vouloir pour ça ; d'autant plus qu'elle représentait beaucoup pour moi.

Lorsque j'étais encore à Paris, Jade adorait passer du temps avec moi. Elle avait pour rituel, de me faire faire toutes les boulangeries de la capitale, et de me faire acheter, chaque fois qu'elle le pouvait, des croissants au beurre et des pains au chocolat et amandes. J'étais devenue sa sœur, car selon ses dires, le terme 'belle-sœur" me convenait seulement car elle me trouvait jolie et non parce que je n'étais pas du même sang.

Toutes ces mimiques me manquaient. Elle remplissait le vide que son frère avait créé et il était devenu de plus en plus difficile pour moi, d'arrêter ma relation avec Maxence. Je savais que l'on comptait sur moi, et que sa famille me faisait entièrement confiance. De mon côté, je pensais sans cesse que la situation s'arrangerait un jour où l'autre, mais au bout de trois ans, elle ne faisait que s'étioler ; et par, je ne sais quel miracle, je décidais de lui donne une dernière chance. Une fois de plus...

- À quelle heure commencent les entretiens ? demandais-je le ventre retourné

- À 8 h demain, et j'aimerais que tu sois là...

Un Chanteur à New YorkOù les histoires vivent. Découvrez maintenant