Chapitre 13

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La matinée venait de passer et nous étions tous en train de préparer le prochain concert sans aucune agitation. Tout le monde était calme, concentré et plongé dans un mutisme que je n'avais encore peu connu. Personne, ni même l'équipe artistique, n'osait décrocher un mot. Nous étions tous de notre côté à chercher des objets, des placements, et nous nous contentions seulement de faire des gestes pour indiquer ce que nous voulions faire. En somme nous nous contentions d'achever notre travail, surtout pour éviter les œillades de chaque collègue. D'un autre côté, Maxence passait son temps à fureter sa guitare sans lever les yeux et fixait le sol sans vraiment s'exécuter à la tâche.

C'était la première fois de ma vie, que je voyais une telle scène et je me demandais bien ce qui se tramait. Issan de son côté était resté proche de moi et arborait la même expression sur son visage qu'un ange déchiré par les ténèbres. Pour une fois, il avait l'air de ne rien savoir, et c'est ce qui m'inquiétait le plus. Lui qui était toujours au courant de tout depuis le début avait été, pour la première fois, mis à l'écart. J'imaginais que cela venait de l'importance de la prochaine performance de Maxence et qu'il voulait se concentrer. Cette fois-ci, il faisait la première représentation d'une des plus grandes célébrités de Country des États-Unis et je mettais cela sur le compte du stress et de l'anxiété. Ou alors, il m'en voulait encore de m'être enfuie sans rien dire ? Et que dire d'Issan, lui avait-il donné rendez-vous pour lui parler de quelque chose ?

L'attitude de Max était de plus en plus énigmatique et je ne savais plus comment me sortir de cette situation. Cela me perçait la poitrine rien qu'à l'idée d'y penser. Nous avions atteint un point de non-retour et je savais que je n'y pouvais rien... Alors, je me contentai seulement de faire ce que j'avais l'habitude de faire. Rester proche de lui tout en restant la plus éloignée possible, pour me faire oublier. Demeurer disponible et discrète, sans sourciller... Enfin c'est ce que je croyais pouvoir laisser paraître, mais j'étais trop pensive pour que cela dure. En un rien de temps, une planche que je voulais installer me glissa des mains et m'érafla les paumes.

Un clou rouillé, dont l'oxydation avait fait naître de la moisissure brunâtre, s'était glissé entre les plis et avait perforé les veines situées au niveau des phalanges, de l'index jusqu'à l'hypothénar. Je gémis avec retenu, puis lâchai la latte ébréchée d'échardes sur le parterre. Quelques gouttes giclèrent et éclaboussèrent par la même occasion le sol mais trop occupés à travailler, les membres de l'équipe ne se retournèrent point, y compris Maxence. Seul Issan se rapprocha.

— Montre ta main !

Je la retirai et la serrai contre moi.

— On dirait que tu saignes...

— Ce n'est pas grave. rétorquais-je.

Il m'arracha le coude de force et examina les commissures de la blessure qui jaillissait légèrement.

— Tu risques une infection... C'est trop profond.

— Quelle importance.

Je me mordais les lèvres pour ne pas crier. La douleur était lancinante et elle s'encrait dans ma plaie, mais je ne voulais pas qu'il pense que j'avais besoin de son aide.

— Viens avec moi.

Bien que cela ressemblait à une proposition, il s'agissait en réalité d'un ordre.  En deux en trois mouvements, Issan me traîna jusqu'à un vieux lavabo et noua un tissu autour de mon poignet. Je perdais plus de sang que je puisse le penser et Issan l'avait très vite réalisé.

— Où as-tu appris à faire ça ?

Maxence jeta un œil furtif et suspicieux en la direction, mais je l'ignorai.

— Dans le Bronx. me certifia Issan.

— Tu devais être apprécié.

— Pas tellement...

— Je suis désolée...

— Ce n'est rien.

Il serra le pansement bien gondolé et me désinfecta la plaie avec le premier désinfectant qu'il dénicha. Il s'agissait d'un vieux flacon d'alcool à 90 degrés qui avait été laissé là par un propriétaire peu averti. Une bouteille en verre de couleur macaron que je n'oublierai jamais. Je m'étais mordus la langue si fort que je sentais le goût acide de l'hémoglobine qui glissait entre mes dents.

— Tu sais, il n'est rien de plus douloureux lorsque tu n'as pas d'identité. Quand tu es trop foncé pour les peaux claires ou trop clair pour les peaux foncées, quand tu es trop ou pas assez, tu n'as plus ta place, peu importe le talent... Et, c'est la même chose que l'on peut ressentir lorsque tes paroles sont prises par un autre. J'ai fini par être accepté, mais je serai toujours différent.

Il referma la plaie avec un bandage qu'il tourna autour de ma main, toujours sous le regard éprouvé de Max qui se mordait l'ongle de son auriculaire. Le sang s'arrêta de couler et Issan continua son dialogue sans même avoir réalisé qu'il était épié.

— Un peu comme toi. poursuit-il tout en se rinçant et se secouant les doigts.

— Pourquoi ?

— Je me suis toujours demandé pourquoi la réussite de Max t'importait tant, mais je sais maintenant... murmura-t-il.

— Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

— Tu détestes tant la célébrité ?

— Pourquoi cette question ?

— L'équipe nous attend...

Avait-il compris quelque chose par rapport à moi et Maxence ? Une chose que j'imaginais toujours pouvoir cacher. J'étais perplexe face à cette situation et gênée d'être le centre de l'attention. J'essayais alors de retourner à mon poste et de faire comme si je n'avais rien entendu. J'espérais que l'on m'oublie pour une fois. Ainsi, contre toute attente, je pris un chiffon et nettoyai l'estrade sans dire un mot. Cependant, quelques secondes plus tard, Maxence se dirigea vers moi, et me fit reculer discrètement vers le rideau qui servait de brise-vue.

— Le producteur aimerait te voir.  m'annonça-t-il.

— À quelle heure ?

— Maintenant.

— Maintenant ?

— Il est dans la salle derrière, il veut te parler. acheva-t-il sa phrase sur un air grave.

Je déposai le morceau de tissu déchiré dans un coin des marches et entrai dans l'arrière-cuisine. Le producteur était debout en train de touiller sa tasse de café et fit tinter sa cuillère pour en faire délecter les gouttes.

— Asseyez-vous, je vous prie. m'indiqua-t-il en me montrant la chaise.

— Est-ce que c'est nécessaire ?

— Non, mais c'est préférable.

Je m'installai alors sur le bout de la chaise, les jambes recroquevillées et les molaires serrées. Je pensais plus à ma blessure que ce que ce monsieur avait à dire. De l'autre côté, ce dernier se vautra sur le tabouret en face de la table tandis que la machine à café continuait de faire un vacarme épouvantable. Il me scruta de long en large et essaya sans doute d'estimer si les choses qu'il allait me dire seraient bien comprises.

— Écoutez-moi bien Lola... Ce que je vais vous déclarez risque de ne pas vous plaire...

Un Chanteur à New YorkOù les histoires vivent. Découvrez maintenant