chapitre 6

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Joey

Comment dire que je suis vraiment rassuré ?

Même si maman m'a dit qu'elle trouve Luke très sympa, entre les goûts d'une mère et ceux d'un mec de 18 ans, y'a parfois un grand écart.
Mais là, J'avoue que je suis plutôt d'accord.

J'ai trouvé ce premier contact avec mon coloc étonnamment facile.
On me dit associal et timide, je me dis plutôt observateur et sélectif.
Et après deux mois passés dans la nature, à observer la faune, on peut pas dire que j'ai beaucoup développé mes capacités à me mêler aux autres spécimens de mon espèce.

J'espère juste que j'arriverai à m'adapter à son rythme de vie.
Maman m'a dit que les voisins du dessous étaient ses amis, et de ce qu'il m'a dit, il est plutôt proche de ses anciens colocs.
Il risque donc de les voir souvent, j'espère qu'il ne sera pas gêné par ma présence. J'ai promis d'essayer de ne pas m'isoler. Et c'est aussi le but de vivre en coloc, m'ouvrir à la vie en communauté.

Mais pour l'instant, mon objectif imminent, c'est de faire le tri dans tout ce que j'ai pris comme photos pendant deux mois.
J'ai des milliers de prises de vue en stock, et certainement beaucoup à jeter.
J'ai essayé de m'y coller au fur et à mesure, ne serait-ce que pour vérifier que j'obtenais de bons résultats, ainsi que pour pouvoir montrer quelques photos aux responsables du stage, mais pour l'essentiel, mes cartes mémoires sont un vrai fatras de tout et de rien.

Après je dis jeter... Je devrais dire mettre de côté, parce que je suis incapable de jeter une photo. Je la recadre, retravaille l'éclairage, la netteté, les couleurs. Au final, ça ne ressemble à quasiment rien de la photo initiale, mais généralement j'obtiens un résultat qui me plaît.

Lorsque j'entends la porte de l'appartement claquer, je regarde machinalement l'heure et je me rends compte que ça fait trois heures que je n'ai pas levé les yeux de mon écran .
Ça peut expliquer pourquoi j'ai faim depuis un petit moment.

Allez Joey, un petit effort, il faut se nourrir de temps en temps.
Je lâche mes écrans et rejoins la cuisine où Luke est en train de se préparer un sandwich.

- Un petit creux après l'entraînement ?
- Exactement. Je suppose que tu as dû manger depuis un moment.
- Et bien non. J'ai pas vu le temps passer, je viens à peine de me rendre compte de l'heure.
- Tu veux que je te prépare un sandwich ?
- Oh t'embête pas, je vais me le faire.
- Mais ça m'embête pas, que j'en prépare un ou deux, ça change pas grand chose.
- Alors je veux bien. D'ailleurs il va falloir que j'aille faire des courses cet après midi. Là on est en train de taper dans tes réserves.
- T'inquiètes pas pour ça. J'ai bossé pour un supermarché tout l'été et le gérant m'a proposé de récupérer les produits non vendables.
- Euh... Pourquoi non vendables ?
- Et bien pour ce jambon, par exemple, à la base c'est un lot de deux. Mais un des paquets s'est ouvert dans le déchargement. Le paquet qui reste devient invendable.
Les boîtes de conserve cabossées, ça ne pose aucun souci de conservation mais impossible de les vendre non plus.
Les poches de fruits et légumes, si un fruit est amoché, c'est la poche entière qui est déclassée.
Du coup je vais y faire un tour tous les trois jours et je récupère ce qu'il me met de côté.
- C'est très sympa de sa part.
- Je crois qu'il a un peu pitié de moi... J'avais trois jobs cet été, pour pouvoir financer cette année.
- Oh, tu reçois aucune aide de ta famille ?
- On a retiré ma garde à mes parents pour mes huit ans.
Jugés inaptes à assurer la sécurité et l'épanouissement d'un enfant.
C'est ce qui a été noté sur mon dossier au foyer d'accueil par les services sociaux.
- Oh merde... Finalement, je m'en tire pas si mal avec une mère surmenée.
Bon je te propose un truc. Puisque tu as un bon plan pour de la bouffe gratuite on va bien sûr le garder. Et moi je me charge d'acheter le surplus, ce qui est nécessaire, et aussi les ingrédients plaisir. Pour moi c'est glace et chocolat.
- Moi c'est le caramel. Je ferai n'importe quoi contre du caramel fondant...
- Hmm...pas mal aussi.
Du coup, ça te dit de m'accompagner faire des courses ? Comme ça on se prend ce qui nous manque.
- Ça marche.

Sandwichs avalés, nous voilà partis pour notre expédition courses.
Dans ma voiture j'apprends que Luke se déplace à pied, pour ses cours, la piscine ou même ramener la nourriture.
Ok ça lui fait les muscles, mais c'est clairement pas pratique.

Je lui propose donc, lorsqu'il en a besoin et que je n'en ai pas besoin, d'emprunter ma voiture. Ne serait-ce que lorsqu'il va chercher les courses. C'est quand même plus simple.
Et puis pour les cours, en fonction des plannings de chacun, il y a des chances qu'on puisse faire des trajets ensemble.

Luke, tout d'abord tenté de refuser, finit par céder. Mes arguments basés sur le côté pratique ont rapidement eu raison de ses scrupules.

Pour nos courses, nous avons décidé d'aller dans un autre supermarché que celui où il a bossé. Inutile de laisser penser à son ancien patron qu'il n'a plus besoin de son aide, ce qui serait faux.
Nous aurions pu décider de faire stocks de nourriture à part, comme ça se fait dans certaines colocs, mais c'est pas comme ça que je vois la vie à plusieurs.
En faisant stock commun, y'a pas à se prendre la tête sur quoi est à qui.

C'est ainsi que Luke fonctionnait avec ses amis, et ça me convient parfaitement.

Courses essentielles faites, nous nous dirigeons vers le rayon sucreries. Pas moyen de repartir sans.
Alors que j'examine les différents choix qui se présentent devant moi, je constate que Luke est sur son téléphone en train d'échanger des messages. Vu le sourire, c'est soit un de ses potes, soit un rencard...

- Nos voisins nous invitent ce soir à une soirée console-pizza, ça te tente ?
- Euh...je voudrais pas vous déranger entre amis.
- Tu déranges pas puisqu'on propose. C'est un bon moyen de faire connaissance avec eux sans se prendre la tête. Il vont pas te manger tu sais.
- Oh, je m'en doute bien. C'est juste que c'est nouveau pour moi tout ça.
En plus vous êtes visiblement un petit groupe bien soudé, c'est pas évident de s'incruster.
- T'inquiètes pas pour ça. On est soudés mais très ouverts tu vas voir. Et puis faut bien s'entraîner à accueillir des nouveaux, puisque bientôt c'est deux filles qui vont nous rejoindre.
- Comment ça ?
- Avec mon départ et celui de Rob, l'ancien capitaine de football, c'est deux filles qui intègrent la coloc. La petite sœur de Rob, Jolene, et sa meilleure amie  Lexy.
- Oh... Ça risque de leur faire un sacré changement...
- C'est clair. Alors, ok pour ce soir ?
- Je veux bien. Au pire si je me sens pas à l'aise, j'aurais pas trop loin à fuir.
- C'est clair, mais je suis sûr que ça va bien se passer avec les amoureux.
- Oh...ils sont en couple depuis longtemps ?
- Depuis toujours ! Enfin façon de parler.
Ils se connaissent depuis leur quatre ans, vivaient ensemble avec leurs mères depuis leurs cinq ans, et se sont rendu compte qu'ils étaient amoureux et pas simplement meilleurs amis à la rentrée l'année dernière.
C'est deux-là, c'est comme les oiseaux, les inséparables. Impossible les imaginer l'un sans l'autre. C'est trop mignon.
- Et en étant gays tous les deux, ils s'étaient pas rendu compte avant qu'ils s'aimaient ?
- Mike était hétéro. Et de ce qu'ils disaient tous les deux, il était au moins aussi collectionneur que moi de coups d'un soir.
- Oh... Mais comment ils ont fini ensemble alors ?
- L'amour... Des fois ça s'explique pas.
- C'est vrai. Des fois je me demande ce que ça peut faire, mais c'est trop compliqué à gérer pour moi.
- Pourquoi ?
- Je suis pas à l'aise dans les interactions sociales. Et les relations de couple, ce n'est que ça, que ce soit avec l'autre ou avec l'entourage du couple.
C'est pas évident pour l'autre de comprendre que parfois j'ai besoin de m'isoler du bruit ambiant, ou que j'ai besoin d'être seul pour prendre des photos de ce que je vois.
C'est déjà difficile de le faire comprendre à des amis, alors dans le cadre du couple c'est pire.
- Je peux comprendre. C'est pour ça que je cherche pas à me mettre en couple et que les relations d'un soir me conviennent mieux.
Devoir rendre des comptes, faire des activités à deux uniquement pour maintenir les liens amoureux, supporter la jalousie...
- La jalousie, c'est pas obligatoire si ?
- Dans le peu de relations que j'ai eu c'est ce que a systématiquement mis un terme aux histoires.
Quand je suis sorti avec des non-nageurs,  ils avaient du mal avec le fait que je passe mon temps à moitié à poil avec d'autres mecs, dans les bassins et les vestiaires.
Et quand j'ai essayé les nageurs, je me suis retrouvé confronté à la jalousie sportive. C'est pas évident d'être en compétition dans l'enceinte du couple.
Du coup j'ai arrêté d'essayer le couple.
À moins de tomber sur la personne parfaite pour moi, je me contenterai des plans cul, c'est moins prise de tête.
- Je comprends.
Bon moi perso, j'ai trouvé mon idéal. Chocolat noir avec éclats de nougatine...
- Avec la nourriture aucun risque effectivement.
Et moi chocolat au lait coeur caramel fondant... Hmm...
- On va se trouver de la glace pour les soirées à chiller ?
- Plutôt deux fois qu'une ! Go !

Au moins, pour l'instant, Luke est vraiment facile à vivre. Je suis vraiment rassuré.
Pourvu que ça dure.

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