CHAPITRE 22

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Je reste sans voix.

Comme si d'un seul coup, on venait de me retirer la parole. Notre camp est dévasté et les armes ainsi que le peu de matériel est dispersé de tous les côtés. Kay a décidé de rassembler ce qui vaut la peine d'être gardé ; quant à moi tout ce que je fais, c'est rester de marbre face au cadavre de Diego.

Son torse est couvert de sang et un léger filet s'est figé au coin de sa bouche. Ses yeux autrefois vifs et bleus sont maintenant comme gravés dans la pierre, vitreux et froids.

Mes émotions sont bloquées, pourtant j'ai l'impression de vraiment ressentir l'impact des jeux, et cela, pour la première fois. Quand j'étais dans mon district, je voyais mourir à l'écran, je regardais la fille de chez moi chaque fois qu'elle était diffusée parce que je la connaissais et que j'espérais qu'elle reviendrait, mais je n'avais jamais vécu en étant aussi proche de la situation. Il y a encore quelques heures, il râlait à propos de la nourriture ou combien il voulait rentrer chez lui et maintenant plus rien.

- Allez Em, on y va, faut pas rester ici...

Je ne parviens pas à me détacher de Diego et quand Kay me prend par les épaules, je résiste un peu. Je ne peux pas le laisser là. Il ne mérite pas de rester ici seul. Pas après tout ce qu'il a vécu.

- Je ne peux pas. Je murmure, une larme glissant sur ma joue.

- Emme...

- Je ne peux pas ! je hurle cette fois. Je n'en peux plus Kay ! Je ne peux plus continuer à être comme ça... Comme si tout ça n'avait pas de...

- De quoi ?

- D'importance ! cette fois, je m'emporte et suis à deux doigts de la crise de nerf. Tout ça, à quoi ça sert ? Quelle personne censée enverrait des enfants se faire tuer, Kay ?!

- On n'est pas des enfants, Emme...

Il ne le vit pas bien non plus, cela se voit qu'il est touché, pas anéanti, mais touché. J'ignore s'il comprend ce que je veux dire, mais j'ai besoin de parler à quelqu'un et je pense que les options sont assez restreintes pour moi en ce moment.

- Pourquoi ! Pourquoi lui ? et les autres, je...

Je me mets à bafouiller, je sais que ce que je dis peut-être considéré comme de la trahison, mais il faut que ce soit dit, si je ne le fais pas qui le fera ? Diffusé ou pas, je sais qu'on nous observe. Mes paroles doivent toucher des gens, sinon que sommes-nous ? Peut-on vraiment être encore des êtres humains en nous comportant de cette manière ?

J'accepte finalement la main qu'il me tend et nous quittons le camp.

- On va y arriver Emme.

Il ressert la pression sur mon épaule et je m'appuie sur lui alors que nous nous éloignons.

C'est à ce moment que j'ai su que Kay devait gagner. Je n'ai pas le droit de parier, mais si je le pouvais, c'est lui que je choisirais. Les raisons sont de moins en moins floues, mais je sais qu'il le mérite : personne n'a montré autant de gentillesse, de courage, de volonté de se battre pour ce en quoi il croit que Kay.

Maintenant, je sais.

Je ne rentrerai pas chez moi.

Il rentrera chez lui.  

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