Le Gardien -2

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Haut de plusieurs mètres, un être vraisemblablement composé de bois et recouvert de mousse se dressait face à la jeune femme. Son corps ne semblait pas vraiment fait pour avoir cette forme humanoïde, toutefois il possédait bien une tête et des membres distincts le long de son torse en écorce. Mais ce qui fit frissonner Lina par dessous tout, c'était ses deux yeux perçants qui la scrutaient depuis son arrivée dans la grotte.

- Je suis Lina McCormac, dit-elle en regrettant immédiatement son geste.

Elle s'adressait à un être visiblement bien supérieur à elle en force physique et son Vitalisme pulsait dans les centaines de racines reliées à son corps. Dans cette position, il semblait presque enchaîné et pendant une brève seconde, Lina crut voir les lianes de Vitalisme bleues dans la chambre de Duncan. La créature l'observait toujours sans bouger mais elle ne semblait pas dénuée d'intelligence.

- Lina Mc Cormac, répéta la créature de sa voix ample et caverneuse.

Aucune bouche n'apparaissait sur son visage allongé et du lichen pendait de son menton comme une barbe pour venir se perdre dans la mousse qui recouvrait son torse.

- Qui es-tu ?

Des bruits diffus de frottement résonnèrent dans la caverne et Lina comprit que la créature rappelait à elle toutes les lianes qui s'intégrèrent naturellement à son corps.

- Qui suis-je ? demanda-t-il en prononçant lentement chaque mot.

Un long silence s'étendit et Lina perdit patience au moment où son étrange interlocuteur lui répondit :

- Les Humains d'autrefois me nommaient Bélios.

- Pourquoi m'avoir entraînée ici, Bélios ? s'enquit-elle d'une voix tremblante.

Mais l'homme-arbre ne semblait pas pressé de lui révéler ses intentions et il entreprit de se déraciner de la plateforme pour s'approcher d'elle. A cet instant, Lina se rendit compte de la taille colossale du monstre de bois qui lui faisait face et elle regretta de ne plus avoir son épée. Sans Excalibur et sa présence réconfortante entre ses mains, elle se sentait faible et vulnérable.

- Les Hommes sont toujours trop pressés. Ils n'écoutent pas tout ce que les arbres ont à leur murmurer.

Le temps de prononcer cette longue diatribe, il s'était approché très près de Lina qui ne pouvait reculer éternellement au risque de tomber de la plateforme. Toute chute à cette hauteur lui serait mortelle.

Bélios grinçait et craquetait en s'approchant toujours plus près de Lina qui se dévissait à présent le cou pour apercevoir ses petits yeux luisants. Vu de près, tout son corps semblait grouiller d'insectes et de lianes en perpétuel mouvement, ce qui terrifia Lina autant que ça la fascina.

- Tu sembles effrayée par mes lianes. Pourtant elles sont utiles à la décomposition de vos corps charnels.

- Tu vas me tuer, souffla-t-elle.

- Tuer ? gronda le monstre comme s'il considérait sincèrement cette possibilité. Je l'ignore.

- Je ne comprends pas, bredouilla Lina, complètement oppressée par l'aura du monstre.

Ce dernier se pencha en craquant ses branches sèches comme des rotules fatiguées et une puissante odeur de résine envahit le nez et la gorge de Lina. Des lianes jaillirent de son corps et s'enroulèrent une nouvelle fois autour de la jeune femme qui se débattit en vain. Plus elle se tortillait, plus les liens se resserraient autour d'elle et bientôt sa cage thoracique fut totalement comprimée.

Elle fut soulevée sans aucune peine et dirigée lentement vers le centre de la plateforme rocheuse où cinq menhirs que Lina n'avait pas encore remarqués formaient un cercle parfait.

- Lina McCormac, je t'ai observé. Je vis ici depuis de nombreuses lunes en me nourrissant des énergies amenées par les courants telluriques. D'abord graine, je suis devenu pousse puis mes racines ont commencé à grandir et à s'étendre.

Bélios reposa Lina sur le sol. Ses entraves se détachèrent pour venir fusionner avec la pierre comme une prison de bois. Elle ne se débattait plus, se laissant bercer par la voix traînante et sifflante du monstre en attendant son sort.

- De nombreux siècles passèrent à me voir grandir en ces lieux, jusqu'au jour où une maison fut bâtie juste au-dessus de la surface. De nouvelles énergies me sont parvenues en grande quantité, bien plus nourrissantes et j'ai commencé à observer les Hommes.

Les lianes autour de Lina semblaient drainer son Vitalisme et l'épuisement rattrapa la jeune femme qui luttait pour ne pas sombrer dans l'inconscience.

- Tu es un Gardien, murmura-t-elle.

Bélios hocha lentement sa tête longiligne sans jamais cligner des yeux une seule fois.

- C'est l'un des noms qui m'a été donné.

Lina se souvint de ses cours théoriques à l'Académie sur les créatures mythiques qui peuplaient le monde, et les Gardiens étaient référencés comme des manifestations naturelles affiliées à un endroit très spécifique. Beaucoup de traumatismes ébranlèrent la maison qui ne pouvait les évacuer qu'en diffusant leur énergie dans la terre jusqu'à Bélios. Il était même parvenu à hisser cet immense bloc de pierre afin d'être au plus près de la source de son pouvoir.

- As-tu déjà rencontré d'autres hommes ? questionna-t-elle pour gagner du temps.

L'arbre géant médita sa question si longtemps que Lina désespéra d'obtenir une réponse avant de s'évanouir.

- Ah oui. Le jeune humain Duncan Mc Cormac est venu me trouver dans ces profondeurs.

Ce nom prononcé par la créature fit tressaillir Lina qui sentit son cœur repartir de plus belle dans sa poitrine.

- Je me suis nourri de son Spleen jusqu'à ce que sa source se tarisse.

- Il est mort il y a dix ans. C'est ce qui a entraîné le départ de toute notre famille.

- Ah. Pourtant son énergie vibre encore ici-même.

Lina releva la tête, la mine vaillante malgré son irrépressible envie de pleurer.

- Qu'est ce que tu vas faire de moi ? Dévorer mon Spleen à mon tour jusqu'à ce que ma source se tarisse ?

La créature végétale semblait parfaitement insensible à la colère de Lina. Le Gardien se contenta de la fixer sans détour. Alors que le silence s'éternisait une nouvelle fois, Lina utilisa toutes ses forces pour essayer se démener sur ses liens.

- Réponds-moi !

Après une énième gesticulation vaine, Lina se retrouva le souffle complètement coupé, pliée en deux dans son entrave qui menaçait de lui rompre les côtes. Sa vision se résuma à deux fentes floues avant qu'elle ne sombre totalement dans les limbes de l'inconscience.

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