Choix

1 0 0
                                    

Ovis ne plaisantait plus. Il dévalait les marches qui s'enfonçaient dans les profondeurs de la cave obscure de l'antique bâtisse. Justice n'était pas en reste concernant l'inquiétude et il fusait aux côtés de son compagnon sans dire un mot. A l'aide de ses yeux perçants, il put distinguer les flux d'énergie converger vers le fond de la cave. Ovis semblait avoir remarqué la même chose car il s'approchait d'une structure en pierre circulaire recouverte de vieilles racines sèches.

- C'est un puits.

D'un même élan, les deux guides se penchèrent pour observer le fond et ils se sentirent presque attirés par la gorge de pierre obstruée. Des sons et des sifflements comme des voix fantomatiques se répercutaient depuis les profondeurs et ils s'avisèrent une fois de plus.

- Pas étonnant que cette maison soit un véritable portail énergétique. Tout y est : les bois anciens, l'immersion dans la nature et la source d'eau souterraine... Le Gardien n'aurait pas pu choisir meilleur repère pour faire son nid.

- J'ai une petite idée sur la nature de notre invité indésirable, marmonna Ovis avant de balancer ses jambes arquées dans le vide.

- Attends !

Mais l'homme bélier ressentait l'urgence dans chaque crins de son épiderme et il n'écouta pas son collègue ailé avant de sauter.

- Bon sang, grommela Justice en avisant le fond. Je déteste les missions d'intérieur.

D'un roulement d'épaules, il rétracta ses magnifiques ailes blanches qui disparurent entre ses omoplates puis il vérifia qu'Excalibur était toujours bien fixée à sa tunique. Il s'élança à son tour sans s'apercevoir que les fondations de la maisons s'étaient mises à vibrer.

Lina marchait dans un paysage brumeux qui ne lui évoquait rien de connu. Des volutes de fumées tourbillonnaient autour d'elle en prenant des formes éphémères qui s'évaporaient presque aussitôt. La jeune femme ne sentait pas la fermeté du sol sous ses pieds ni la caresse de la brume sur sa peau. Il lui semblait que tout son corps était intangible et pendant un instant, elle se demanda si elle n'était pas tout bonnement passée dans l'Autre Monde.

- Lina...

Une voix qu'elle ne reconnut pas l'appela et elle se dirigea vers une lueur nouvelle dans l'obscurité. Comme un battement de cœur, la lumière pulsait et palpitait en l'attirant vers elle. Lina ne réfléchissait plus et elle marchait sans fléchir vers cette étrange énergie. Lorsqu'elle arriva au niveau de la lueur, le décors se métamorphosa et elle vit son propre reflet.

Plutôt jolie, bien que les traits tirés, Lina ressentit une bouffée d'affection à l'intention de cette représentation d'elle-même. Ce n'était ni la Lina du passé, ni la Lina du présent et pourtant rien ne les différenciait à cet instant. Le décors se précisa et Lina sentit son cœur palpiter en reconnaissant les contours d'un grand bureau au style baroque.

- Lina Mc Cormac, vous désiriez me voir ?

Une voix suave retentit derrière un grand bureau en chêne noir lustré et un homme sans âge se leva. La pièce était baignée de lumière colorée filtrant à travers de larges vitraux ronds et Lina s'avança sans ciller.

L'homme portait ses cheveux retenus en une longue queue de cheval blanche irisée de gris et son visage affichait un masque de confiance travaillée au millimètre près. Il portait des petites lunettes rondes sur le bout de son nez pointu et il fixait Lina comme s'il savait déjà parfaitement la raison de sa venue.

- Sorcelier Anselm. Je viens vous annoncer mon départ de l'Académie.

L'homme élégant dans son costume trois pièces pourpre et or contourna son vaste bureau en affichant un sourire mesuré, le bout de ses doigts glissant sur la surface lisse du chêne.

- Ah oui ? Puis-je vous demander la raison de cette décision pour le moins... surprenante ?

Il ne semblait guère surpris et cela eut don d'énerver Lina au plus haut point.

- J'en ai assez de ce système, de cette prison ! Mes parents voulaient que j'entre au Ministère, mais cela n'a plus aucun sens pour moi aujourd'hui. Alors j'aimerai arrêter de perdre mon temps ici.

Un léger froncement de sourcil assombrit le visage du charismatique Sorcelier.

- Ce n'est pas pour vos parents que vous devez finir votre parcours Lina, mais bien pour vous-même.

- Et c'est bien pour moi que je souhaite arrêter, pour aller mieux dans ma vie et dans ma tête.

Anselm fit quelques pas dans sa direction jusqu'à la surplomber de toute sa hauteur, puis il plongea ses yeux bleus presque blancs dans ceux de sa Disciple.

- Votre Vitalisme est puissant. Ce serait un véritable gâchis de ne pas révéler son potentiel à l'issue de l'Élévation.

Il parlait d'une voix suave tout en la couvant de son aura hypnotique. Pendant un instant, il fit l'effet d'un serpent à Lina qui craignait autant de retenue chez un homme. Elle fit un pas en arrière, les poings serrés.

- N'essayez pas de me charmer, Sorcelier. Ma décision est prise. Avec ou sans Élévation je partirai.

- Quel dommage, déplora Anselm en secouant lentement la tête. Je vais être honnête avec vous ; mes supérieurs ne seront pas enchantés de savoir qu'une Disciple est dans la nature sans avoir révélé son pouvoir. Attendez au moins de finir votre dernière année et je ferai tout mon possible pour vous aider à disparaître.

Lina du présent constata que le Sorcelier paraissait sincère malgré son ton mielleux, chose que son double du passé n'avait pas du tout perçu à cet instant.

- Je vous en prie... Laissez-moi partir.

- Si tel est votre choix, soupira-t-il à contrecœur.

Il fit un pas en avant en posant une main sur l'épaule de la jeune femme et une vive lumière émana de sa paume. Lina poussa un cri avant de se dégager vivement.

- Ce Sceau me permettra de garder un œil sur vous. C'est la condition sine qua none de notre accord et en échange je tâcherai de ne pas révéler cette conversation à ma hiérarchie.

A ce moment-là, le souvenir sembla se figer avant de muter. En temps normal, le Sorcelier aurait raccompagné Lina à la porte de son bureau mais il n'en fit rien. Il tourna lentement la tête et transperça Lina du présent de son regard. Sans savoir comment, elle sut qu'il la voyait elle et non son double du passé.

Sans un mot, il se tourna vers elle et commença à marcher dans sa direction.

- C'est impossible...

- Tout est possible en ces lieux, lui répondit Anselm d'un ton étrange.

- Vous... Vous me voyez ?

Il s'approcha encore et sans crier gare, il posa ses mains sur les joues de Lina qui ressentit leur chaleur malgré l'illusion.

- Ton Vitalisme est prodigieux. Tu ne t'es peut-être pas rendue compte de son potentiel, car personne ne te l'a jamais dévoilé.

La voix de l'éphèbe aux cheveux blancs n'avait plus rien de suave. De plus, il la tutoyait ainsi pour la première fois, ce qui ne paraissait pas du tout naturel.

- Laisse-moi t'en délester.

Sans un mot de plus, il posa tendrement ses lèvres contre les siennes. A ce moment, Lina comprit la gravité de son erreur.

Mémoire ViveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant