4 - La manucure

199 24 20
                                    

Quelques jours après sa fâcheuse rencontre, Ambre retrouva sa routine de vacances. Et après son réveil, sa journée commençait toujours par une pesée.

Ambre le savait; le monde du mannequinat ne faisait pas de cadeau. Et lorsqu'il s'agissait du corps des femmes, encore moins. Ce que recherchaient les agences, c'était assez clair: des femmes jeunes, longilignes, à la peau légèrement dorée et sans imperfections, aux traits fins et européens. La jeune fille était déjà assez chanceuse de correspondre à la majorité de ces critères grâce aux gènes de sa mère. Elle ne pouvait pas tout gâcher juste parce qu'elle était gourmande. Alors, elle avait entamé un programme de perte de poids intensif, sous les conseils de sa mère, consistant à ne prendre que des repas liquides. Le matin, c'était fruits pressés. Le midi, légumes verts mixés. Un soir sur deux, elle faisait du jeûne intermittent. Son prochain casting était pour lendemain, et l'objectif fixé par sa mère était de perdre suffisamment pour ce dernier.

En posant ses pieds sur la balance, la mannequin en herbe sentit un haut-le-cœur la prendre. Depuis quelques temps, elle redoutait de voir s'afficher un nombre qui déplairait à sa mère, ou qui réduirait à néant tous leurs efforts. Après quelques secondes, le poids s'afficha. Ambre poussa un soupir de soulagement en descendant de la balance. Si elle continuait ainsi, elle n'aurait aucun souci à se faire le jour du casting.

Son planning de veille de casting pouvait commencer: bain d'huile, épilation, masques gommant et hydratant, manucure et pédicure, tout devait être parfait. Rien ne devait dépasser. Même si cela était particulièrement long, c'était sa partie préférée. Cela lui permettait de se pouponner toute la journée sans que ses parents ne lui reprochent quoi que ce soit.

La musique à fond dans sa salle de bain, Ambre chantait les paroles de So What de Pink. Tandis que la baignoire se remplissait d'eau, elle allumait des bougies parfumées dans la pièce. Elle disposa consciencieusement chaque produit qu'elle allait utiliser sur le lavabo, souriante. La journée s'annonçait parfaite.

Et pourtant, à peine quinze minutes après être entrée dans son bain, la paix de la jeune demoiselle fut interrompue par la voix de sa mère, de l'autre côté de la porte.

"Ambre! Marie a dû annuler pour ce soir. Je n'ai pas réussi à trouver de remplaçante, elles sont toutes en vacances."

Marie, c'était l'esthéticienne préférée d'Ambre. Elle parlait peu, répondait au moindre de ses caprices et faisait toujours un travail excellent. Ambre avait pris l'habitude de la faire venir les veilles de casting chez elle, afin qu'elle n'ait pas à se déplacer.

"Qu'est-ce qu'elle a de plus important que de me faire les ongles?! S'insurgea Ambre.

- Elle vient de se fiancer, lança simplement sa mère.

- Et donc, je fais quoi ? Je vais au centre commercial comme les pauvres ?"

C'est exactement ce qu'elle fit. Elle se rendit au centre commercial de la ville, par une chaleur étouffante. Cela la frustrait. Elle venait de polir chaque parcelle de son corps. Sa peau était douce comme la soie, ses cheveux brillaient comme l'or, et elle sentait un subtil parfum fleuri. Cependant, tous ses efforts seraient réduits à néant en allant au centre commercial, qui était toujours bondé, et qui sentait la sueur et la friture. Les salons de beauté étaient toujours situés dans des emplacements hasardeux, comme à côté d'un restaurant indien, ou en face de Microgames pour celui où se rendait Ambre.

Ce qui était pratique avec les esthéticiennes du centre commercial, c'est qu'il n'y avait pas besoin de prendre rendez-vous. Elles vivaient au jour le jour. La plupart d'entre elles était jeune et parlait à peine le français. Assez pour comprendre les ordres de leur patron, pas assez pour savoir qu'il les exploitait très certainement. Ce genre d'enseigne, pour proposer des prix si dérisoires, se refusait d'avoir de l'éthique. Et pour Ambre ce jour-là -- comme beaucoup d'autres jours d'ailleurs --, l'éthique n'était pas sa priorité. Alors elle s'asseyait en silence et scrutait les moindres faits et gestes de l'esthéticienne qui s'occupait de ses ongles. Elle voulait être sûre qu'elle ferait exactement ce qu'elle avait demandé, à savoir une "french manucure naturelle". Elle avait particulièrement insisté sur ce dernier mot.

Bientôt, l'esthéticienne termina son œuvre, et la belle blonde fut surprise du résultat. C'était certes, plus grossier que le travail de sa Marie préférée, mais tout à fait suffisant. En se relevant, la jeune femme fut prise d'un léger vertige ; elle n'avait pas mangé depuis bientôt vingt-quatre heures, ayant sauté son petit déjeuner et son déjeuner pour être sûre d'être parfaite le lendemain. Mais il fallait l'avouer, cette virée en dehors de la maison, par une telle chaleur, l'avait beaucoup affaiblie. En payant, elle sentit ses jambes défaillir et sa vue se brouiller. Il fallait vite qu'elle rentre se reposer pour être en forme le lendemain. Elle envoya un message à sa mère, lui demandant de venir la chercher.

En sortant du salon de beauté, Ambre posa sa main sur sa tempe, comme pour essayer de rassembler des esprits. Elle n'allait pas être capable de rentrer à pieds, elle le sentait. Sa vue se floutait, et ses jambes chancelaient un peu plus à chaque pas.

Et puis d'un coup, les sons se firent plus sourds dans le centre commercial. Le bruit des discussions, les chansons des différents magasins, les haut-parleurs qui diffusaient des publicités en continu... Tout résonnait dans sa tête, comme un tambour qu'elle ne pouvait arrêter. Elle ne parvenait plus à voir clairement où elle était, et ses jambes ne supportaient plus son poids. Elle tomba un genou au sol, un peu en détresse.

"Est-ce que ça va ?" interrogea une voix,  en attrapant son bras.

En levant les yeux, elle mit quelques secondes à reconnaître Armin à cause de sa vue brouillée. Il se tenait en face d'elle, et semblait réellement inquiet. Il ne lui avait encore jamais adressé de tel regard.

"Je... Lâche moi... Souffla-t-elle faiblement, en tentant de se relever.

- Reste assise, ordonna-t-il fermement. Tu as besoin de quelque chose? Tu veux de l'eau, un éventail ?" Il demanda, moins assuré.

L'excès de gentillesse dont il faisait preuve donnait des nausées à la jeune femme. Cette voix délicate qu'il prenait, presque mielleuse, lui était insupportable. C'était humiliant que ce soit lui, parmi les centaines de personnes de ce centre commercial, qui la voyait ainsi. Et pourtant, elle n'avait d'autre choix que de compter sur lui.

"De... De l'eau sucrée..."

Armin courut vers le restaurant le plus proche, et revint une trentaine de secondes après avec une bouteille d'eau et un sachet de sucre. Face à la panique du jeune homme, elle ne dit rien et se contenta d'accepter le "présent".

"Tu supportes mal la chaleur ?" Demanda-t-il en restant près d'elle.

Ambre but une gorgée. Les yeux bleus d'Armin ne quittaient pas la demoiselle. Il était essoufflé de sa course jusqu'au restaurant, et tremblait un peu de panique. C'était la première fois qu'il assistait à un malaise, et ne savait pas comment réagir. Après avoir descendu la moitié de la bouteille, Ambre poussa un soupir d'exaltation, et posa son regard sur le jeune homme.

"Quand quelqu'un fait un malaise... Appelle les secours... Et ne laisse pas la victime seule."

Armin rougit, un peu honteux. Il n'avait pas appliqué les principes du secourisme à la lettre, il était vrai. Il s'était laissé envahir par la panique.

Ambre prit une grande inspiration avant de se relever. Surpris, Armin n'eut pas le temps de l'aider, et lui proposa de s'appuyer sur son épaule.

"J... J'ai pas besoin de ta pitié. Je peux me débrouiller. Tiens."

Elle lui rendit sa bouteille d'eau, avant de marcher péniblement vers le parking du centre commercial, là où sa mère l'attendrait.

La Reine des Pestes [Amour Sucré - Ambre x Armin]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant