9 - Nouvelle vie d'étudiant

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Nathaniel avait toujours été un élève excellent. Il avait été délégué principal, avait porté des cravates, et avait étudié tous les soirs de sa scolarité pour parfaire son dossier. Pas parce qu'il le voulait, mais parce qu'il le fallait. En s'inscrivant à l'université, Nathaniel s'intéressa pour la première fois à ses études de son plein gré. C'était une étape vertigineuse de sa nouvelle vie d'adulte; il ne pouvait compter que sur lui-même pour prendre une décision. Sa route n'était plus toute tracée. Cela l'avait mené à choisir les études qu'il avait toujours voulu faire : des études de littérature.

Depuis deux semaines, Nathaniel était donc officiellement un étudiant en lettres d'Anteros Academy. C'était une nouvelle vie qui lui seyait parfaitement; le rythme était léger, les cours, intéressants, et il aimait la liberté que lui offrait l'université. Il pouvait réviser lorsqu'il le voulait, et personne ne le surveillait. Tout cela lui laissait le temps de s'adonner à sa nouvelle passion : la boxe. À la suite de son déménagement, Nathaniel s'était mis à fréquenter une salle de sport. C'était en y allant régulièrement qu'il s'était rapproché de Kim, son ancienne camarade de classe, qui fréquentait la même salle depuis trois ans. À la rentrée, elle avait même commencé à y travailler en tant qu'hôtesse d'accueil. C'était d'ailleurs Kim qui lui avait conseillé la boxe, en remarquant qu'il était plutôt explosif. La première fois qu'elle l'avait vu frapper dans un sac de frappe, elle comprit qu'il avait trouvé sa nouvelle vocation. Alors, quatre fois par semaine, Nathaniel se rendait à la salle.

Ce jour-là après les cours, Nathaniel passa par son appartement pour récupérer ses affaires de sport. Il prit le temps de se changer, avant que quelqu'un ne sonne à la porte. Il savait que sa sœur devait passer, mais elle était censée le faire bien plus tard dans la soirée.

Nathaniel ouvrit la porte, pour tomber nez à nez avec sa mère, Adélaïde. Elle se tenait droite, les yeux fuyants. Quand Nathaniel lui demanda la raison de sa visite, surpris, elle ne réussit à balbutier que des mots dénués de sens. Il comprit l'origine de son comportement en voyant caché derrière elle Francis, le père de Nathaniel.

Francis n'avait pas changé. Il avait toujours ce regard froid et sévère; comme s'il avait été démuni de ses émotions. Malgré la rancoeur et toute la colère qu'il était censé éprouver, Nathaniel ne parvenait pas à se défaire de la peur que lui suscitait cet homme. Il resta figé devant sa porte, muet.

"Est-ce qu'on peut entrer, Nathaniel ? Nous voulons simplement parler avec toi..." pria sa mère.

C'était maintenant Nathaniel qui ne parvenait plus à les regarder dans les yeux. Tétanisé, il hocha la tête et les fit entrer.

"Qu'est-ce que c'est que cette tenue ridicule?" lui reprocha son père, remarquant ses vêtements de sport.

Adélaïde tenta de le faire taire, et s'excusa auprès de son fils. Ce dernier, toujours silencieux, déglutit sans les regarder.

"On... On s'inquiète pour toi Nathaniel. Nous n'avons plus de nouvelles depuis que tu es parti, et..." commença sa mère.

Quelles nouvelles voulaient-ils qu'il donne ? Que ses bleus guérissaient bien ? Qu'il faisait régulièrement des cauchemars à cause de qu'il avait vécu ?

"Qu'est-ce que tu étudies, Nathaniel?" demanda son père.

Cette voix grave et sombre lui donnait des sueurs froides. Son père ne lui avait jamais adressé des mots tendres. C'était une voix qu'il avait entendue, toute sa vie, le critiquer, le rabaisser, lui demander d'en faire plus. Tout ce à quoi lui faisait penser cette voix, c'était que rien de ce qu'il ferait ne serait jamais assez.

"Tu seras un jour l'homme de cette famille, Nathaniel. Son avenir repose sur toi."

Adélaïde tenta une nouvelle fois de calmer son mari. Le silence régnait dans la pièce, sans que Nathaniel n'ose le briser.

"On veut seulement être sûrs que tu te portes bien, ajouta-t-elle.

- Je vais bien, répondit son fils, toujours sans les regarder.

- Est-ce que tu manges correctement?

- Oui."

Les réponses brèves de Nathaniel eurent le don d'agacer son paternel.

"C'en est assez ! Qu'as-tu appris, depuis que tu as quitté notre maison?! Tu as des invités, et tu ne leur proposes pas de s'asseoir ?! Tu ne leur donnes pas à boire ?! Est-ce comme ça que l'on accueille ses parents ?!" cria Francis.

Ces cris glacèrent le sang de l'ancien délégué. Il se souvenait de tout. Les reproches, les cris, et ensuite, les coups. Le schéma était le même, et s'était reproduit un nombre incalculable de fois.

"Arrête de crier Francis, tu vois bien que ça n'aide pas! dit Adélaïde à son mari.

- Je crie parce que cet impertinent ne se rend pas compte de tous les sacrifices que nous avons faits pour lui! Et il compte tout gâcher en allant étudier les lettres?! C'est insensé, et tu le sais! s'indigna-t-il.

Nathaniel n'avait aucune idée de comment son père l'avait appris. Peut-être avait-il accès à son dossier scolaire. Peut-être qu'il avait un contact dans l'administration. Peut-être même qu'il avait engagé un détective. Peu importe, il l'avait découvert, et le problème était le même.

- Francis, je t'en prie! implora Adélaïde.

- Ta petite révolte a assez duré! Je sais que tu es en colère, mais tu es en train de gâcher ta vie !" cria à nouveau son père.

Cette réplique, ce ton, tout. Tout cela fit bouillir le sang de Nathaniel. La peur se transforma en dégoût, et ce dégoût, en haine. Il ne voulait qu'une chose, qu'ils quittent l'endroit immédiatement.

"Tu penses que je suis en colère ?! Je ne suis pas en colère, je suis fou de rage! cria Nathaniel à son tour. C'est toi qui as gâché ma vie!

- Je t'ai appris la discipline et la rigueur ! Grâce à moi, tu étais destiné au meilleur!

- Non! hurla Nathaniel. Tu m'as appris la violence! Les coups! La peur de l'échec ! Dans quelle langue faut-il qu'on te le dise? Tu n'as pas été un père pour moi, tu as été un bourreau! Celui qui m'a battu !"

Un silence glacial s'installa dans la pièce. Nathaniel respirait fort, les yeux injectés de sang. C'était la première fois qu'il le disait à haute voix. Il avait été battu par son père. Tout son entourage évitait d'utiliser ce terme. Pourtant, ça n'était que la stricte vérité. En utilisant des euphémismes, ils minimisaient ce qui s'était réellement passé.
Les parents de Nathaniel le regardaient scandalisés. Ils ne l'avaient encore jamais vu hausser le ton, et n'avaient jamais non plus utilisé ce mot. Ils étaient gênés, rouges de honte.

"Je veux que vous sortiez de chez moi, déclara sèchement Nathaniel en ouvrant la porte.

- J...Je paie le loyer ici, alors je n'irai nulle part !" s'opposa Francis fébrile.

Le jeune ne voulait plus tergiverser. Il attrapa violemment Francis par le col, et dans le même mouvement, le jeta dehors. Il manqua de tomber. Adélaïde poussa un cri d'effroi en portant sa main à sa bouche.

"Tu vois le genre de délinquant qu'il devient? Ce n'est que début! balbutia Francis à sa femme.

- Ne remettez plus jamais un pied ici, menaça l'ancien délégué. Et toi... " Nathaniel se retourna vers sa mère.

Effrayée, Adélaïde recula doucement vers le pas de la porte. Elle tremblait, et voulut prendre refuge auprès de son mari.

Nathaniel la regarda tristement regagner sa place près de Francis, comme si son cœur venait de se déchirer.

"Tu le choisiras toujours lui plutôt que tes enfants, pas vrai ?"

Les yeux vides, Nathaniel regardait ses parents. Ce mot n'avait plus aucun sens pour lui. Il n'en avait jamais eu.

"Je ne veux plus jamais vous revoir."

Aussitôt qu'il ferma la porte, Nathaniel sentit toute l'adrénaline redescendre. Il se mit à pleurer sans pouvoir le contrôler. Peut-être de tristesse, peut-être de rage, il n'en avait aucune idée. Mais il lui fallait évacuer. Il s'effondra sur le sol, le visage posé sur ses genoux. Que ce soit chez ses parents, ou dans son propre appartement, Nathaniel se rendit compte qu'il était toujours ce jeune garçon apeuré. Rien n'avait changé.

La Reine des Pestes [Amour Sucré - Ambre x Armin]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant