Chapitre 7

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La nuit fut agitée pour Fyris. Elle se réveilla de nombreuses fois, inconfortable et mal à l'aise. Elle restait allongée sur le dos, le regard rivé au plafond, plongée dans ses pensées. Mais bien qu'elle fasse de son mieux pour s'en empêcher, il lui était impossible de ne pas se tourner pour laisser son regard vagabonder sur la forme endormie du Général.

Fyris n'était d'habitude pas du genre à se voiler la face ou à combattre ses pulsions. Elle se contentait généralement de suivre son instinct et de ne rien se refuser, dans la mesure du possible. Si depuis qu'elle était une Immortelle, beaucoup de sentiments ne faisaient plus partie de sa vie, en revanche le désir était une des émotions primaires qui dirigeaient la plupart de ses faits et gestes. Ce genre de comportement l'avait conduite à partager des lits çà et là avec des aventuriers et mercenaires qu'elle ne connaissait absolument pas, généralement pour soulager une tension trop grande ou pour tromper l'ennui. C'étaient des aventures sans lendemain, rapidement oubliées, et sans conséquences.

Mais là, c'était différent. Raelar lui plaisait. Bien qu'il soit extrêmement différent en privé et en public, la jeune femme se doutait qu'il n'était pas juste une tête brûlée qui détestait les Immortels par principe. Depuis la première fois qu'il lui avait adressé la parole, elle avait entrevu, derrière son visage sévère, un homme frustré.

Si Fyris était douée pour une chose, c'était pour cacher ses émotions et se contrôler en toutes circonstances. Mais la situation lui échappait peu à peu. Malgré les distances courtoises qu'elle essayait de mettre entre elle et l'homme qui restait son supérieur, elle le sentait se rapprocher inexorablement. Il éveillait en elle toutes sortes de sentiments, pulsions et désirs qu'elle croyait sous contrôle. Lorsque Raelar posait sur elle ces yeux bleus profonds qui semblaient la transpercer, tout lui échappait. Elle se faisait violence pour se contenir, pour rester cette subordonnée froide et polie, mais sentait bien qu'elle commençait à perdre pied.

Elle n'avait de cesse d'y penser, de se demander ce qu'il convenait de faire, s'il était encore possible de faire marche arrière avant qu'il ne soit trop tard. Mais cette nuit-là, Fyris se trouva bien forcée d'admettre que l'attirance qu'elle ressentait était déjà bien trop forte pour qu'elle puisse la combattre. Le souvenir de leur mission lui revint, la sensation du corps de Raelar contre le sien, ses bras autour d'elle, ses yeux qui la détaillaient, la chaleur de son souffle et son odeur. C'était presque trop, et à la fois, loin d'être assez.

Ressentant un douloureux pincement au cœur, Fyris se roula en boule en tournant le dos et finit par s'endormir une nouvelle fois, tant bien que mal, alors que l'aube approchait.


*****


 Lorsqu'il se réveilla, Raelar trouva Fyris sagement endormie dans un coin tout au bord du lit, sur les draps, et à deux doigts de tomber au sol. Le jeune homme hésita à la laisser dormir, mais vint s'agenouiller près d'elle de l'autre côté du lit.

Fyris était recroquevillée en position fœtale et sa respiration était calme et profonde. Raelar s'étonna du fait que son intrusion dans son espace vital n'ait pas suffi à la réveiller. Puis il se dit, étrangement attendri, qu'elle s'était sans doute tout simplement habituée à sa présence, et ne le percevait pas comme une menace.

– Bonjour, murmura-t-il d'une voix qu'il trouva presque trop tendre.

La jeune femme ouvrit un œil et le regarda quelques secondes sans rien dire avant d'ouvrir le deuxième.

– Mauvaise nuit ? demanda-t-il.
– Pour être tout à fait honnête... plutôt.
– Ça t'apprendra à dormir dans un coin alors que tu disposes d'un des lits les plus confortables de l'Empire, railla le jeune homme. Prépare-toi, on va te sortir d'ici.

L'humeur morose de la jeune femme se trouva instantanément réconfortée par la perspective de quitter sa prison. Elle enfila ses vêtements rapidement et rejoignit le Général à l'étage.

– Tu vas m'accompagner au quartier général. Raan n'aimera pas ça, mais ça passera. Ce sera sans doute mieux que de rester enfermée ici seule toute la journée.
– Vous êtes sûr que je ne vais pas déranger ? demanda-t-elle en fronçant les sourcils. Je ne voudrais pas m'imposer.
– Les autres Généraux t'apprécient, je ne pense pas que qui que ce soit y voit un inconvénient. Faire entrer un Immortel au quartier général n'est d'ordinaire pas acceptable, mais la situation étant ce qu'elle est, il n'y aura aucune opposition.

Fyris acquiesça, réalisant qu'il faisait référence au mariage sans oser en parler franchement. Ils prirent une rapide collation avant de sortir, et Fyris ne se priva pas de lancer aux Immortels qui gardaient les lieux quelques regards triomphants alors qu'ils se mettaient en chemin.


*****


– Alors, ce mariage ?

Fyris fixa Mahir, incrédule. À peine Raelar avait-il dû s'absenter que son compagnon l'assaillait déjà, sans la moindre once de pudeur ou de retenue.

– Vous cachez bien votre jeu, mais vous êtes une sacrée commère, s'étonna la jeune femme.
– Je me contente de venir aux nouvelles, se défendit Mahir. L'Impératrice m'a chargé personnellement de veiller au grain.
– Et vous prenez visiblement votre tâche très à cœur, sourit-elle en réponse.

Mahir lui rendit son sourire. Si Raelar était son ami le plus cher, presque un petit frère à ses yeux, depuis le mariage, il prenait inconsciemment Fyris sous son aile. Peut-être cherchait-il au fond à expier pour ne pas avoir su l'empêcher de devenir une Immortelle, des années auparavant.

– Disons que tout est bien plus facile que je ne l'aurais cru. Peut-être fait-il juste beaucoup d'efforts pour l'instant, mais la compagnie du Général est agréable, et il est facile à vivre.
– Raelar est loin d'être celui que l'on pense, expliqua Mahir. Il est impulsif, mais il a bon fond.
– Je vous crois sur parole. Il a beau être maladroit, il a été adorable avec moi jusqu'ici. Bien qu'il cache visiblement quelque chose, mais il serait impensable et hypocrite de lui en vouloir.

Mahir leva les yeux quelques instants du rapport qu'il était en train de rédiger. Fyris lisait distraitement un épais ouvrage qui traitait de l'histoire de l'Empire, mais le tapotement nerveux de ses doigts sur la couverture trahissait son agitation.

– Ne te fais pas de souci, Raelar n'a absolument aucune raison de chercher à te nuire.
– Je sais, et je ne m'inquiète pas pour ça. Mais il me donne l'impression de porter un fardeau trop lourd pour lui. Il semble préoccupé, et je ne sais pas comment l'aider.

Mahir eut un sourire tendre et un peu triste pour la jeune femme, mais elle ne leva pas les yeux. Il soupira.

– En tous cas, je suis soulagé d'apprendre que vous vous entendez bien. Vous êtes tous les deux suffisamment adultes et matures pour sauver les apparences et rester courtois. Mais ne pas avoir à se forcer ou faire semblant est bien plus sain et agréable.
– Nous faisons tous les deux des efforts. Ce n'est pas facile pour moi d'être si proche de quelqu'un. Il ressent sans doute la même chose.
– C'est tout à votre honneur, mais je suis persuadé que si vous progressez petit à petit, l'expérience sera bénéfique pour vous deux.

Fyris lui jeta un regard en coin.

– Général... murmura-t-elle.
– Oui ?
– J'ai une faveur à vous demander, reprit la jeune femme en refermant son livre.

Surpris par le ton solennel de l'Immortelle, Mahir posa sa plume et lâcha son rapport.

– Je t'écoute.
– Pourriez-vous garder un œil sur Raan ? Ce n'est peut-être qu'un mauvais pressentiment, mais j'ai l'impression qu'il prépare quelque chose.
– Pour être tout à fait honnête, c'est l'impression que j'ai eue également, soupira Mahir. Raan est quelqu'un d'extrêmement discret, et il m'est difficile d'apprendre quoi que ce soit sans éveiller ses soupçons, ou pire, provoquer une dispute qui aurait des répercussions sur nos groupes respectifs.
– Quand je pense que l'un des buts de ce mariage était d'apaiser les tensions entre l'armée et les Immortels, sourit tristement la jeune femme.
– Je sais que l'Impératrice y croyait dur comme fer, mais tant que Raan sera à la tête des Immortels, ça n'arrive probablement jamais. Dans le fond, ses valeurs sont exactement les mêmes que les nôtres, l'Empire passe avant tout. Mais ses méthodes sont... parfois discutables.
– Et je serai la dernière personne à vous contredire sur ce point, répondit Fyris avec un petit rire.

Les deux jeunes gens s'interrompirent alors que Raelar faisait son retour dans la pièce. Il les regarda alternativement d'un air suspicieux avant de prendre la parole.

– L'Impératrice est rentrée plus tôt que prévu, annonça-t-il. Nous sommes convoqués. Toi aussi, Mahir.


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