Chapitre 30

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 Les jours suivants, Raelar s'enterra à dessein dans les tâches administratives, laissant à son assistant le soin d'entraîner les troupes. La simple idée de se battre le rendait malade, et la vue de son épée lui rappelait le sang qu'il avait sur les mains. Ces victoires sur les Abominations que l'on célébrait, récompensait, admirait, ce n'était que les ultimes sacrifices de leurs citoyens les plus désespérément dévoués. Comment pouvait-il se sentir fier de ces exploits, à présent qu'il connaissait la vérité ? Accablé par ces questions, il avait donné rendez-vous à Maru au quartier général, ressentant le besoin de se confier.

– Je ne veux plus me battre, avoua-t-il en invitant le jeune homme à s'asseoir. Rien qu'à l'idée d'attaquer une Abomination, je me dis que ça pourrait être elle. Cette pensée me paralyse.
– Mais l'Empire a besoin de vous.
– Je sais. Je ne peux pas arrêter, et elle non plus.

Compatissant, Maru posa une main qui se voulait rassurante sur son bras. Raelar leva les yeux, affichant son visage ravagé par les remords et les doutes.

– Je sais que vous avez participé à tuer des Abominations, mais ces Immortels n'ont plus rien d'humain. Les tuer les libère.
– Ce destin est si cruel... passer sa vie à se battre pour un Empire, et au final qu'y gagnent-ils ? Ce même Empire les exécute froidement.
– C'était leur choix.
– Je n'y arrive pas. Une partie de moi en veut à Fyris. Mais elle est tellement fière de ce qu'elle a accompli, comment puis-je ne pas être fier d'elle également ?
– C'est une situation compliquée. Je pense qu'à présent, vous comprenez pourquoi elle vous était réticente. Peu d'Immortels s'autorisent des histoires d'amour et beaucoup coupent les ponts avec leur famille. Le rôle des Immortels est tabou.
– Qu'est-ce que je suis sensé faire ?
– Retournez au combat. Cette paperasse va vous rendre fou.

Raelar soupira.

– Je ne suis rien si je ne me bats pas... mais je n'ai jamais eu autant envie d'arrêter.
– Vous voudriez sérieusement déposer les armes ?
– Je ne sais pas... je ne sais plus. J'ai des obligations et un rôle à remplir. Je ne sais rien faire d'autre.
– Je pense que Fyris s'en voudrait si vous démissionniez à cause d'elle.
– Je sais. Je ne veux pas arrêter à cause d'elle, mais pour elle. Même si je ne vois pas en quoi je pourrais l'aider.
– Votre présence à ses côtés est suffisante.
– Pas à mes yeux. Je me sens impuissant.
– Devenir Immortelle, c'était sa décision et elle est prête pour les conséquences. Vous devez la respecter.
– Je sais.
– Alors au lieu d'arrêter, continuez pour elle.
– ... tu as raison.

Les deux hommes marquèrent une pause avant que Raelar ne reprenne.

– Il n'y a vraiment aucun moyen de faire marche arrière ?
– Pas à ma connaissance. Je pense que si c'était le cas, Raan ne laisserait pas ses troupes sombrer dans la folie.
– Et Rollèpe alors, pourquoi peuvent-ils les contrôler ?
– On ne sait pas. Toutes nos tentatives d'espionnage ont échoué. C'est un secret extrêmement bien gardé.
– Et si ce secret pouvait nous permettre de changer les Abominations ?
– Ce serait trop beau, vous ne croyez pas ?
– Mais...
– Ne vous en faites pas. Découvrir ce secret est l'un des principaux objectifs de Raan. Et vous le connaissez, il ne recule devant rien.
– J'espère juste qu'il ne sera pas trop tard.
– Ça dure déjà depuis des années... je ne veux pas paraître défaitiste, mais...
– Je sais. Ça risque de prendre du temps, et rien ne garantit que cela permette de sauver les Immortels. Et pourtant, je veux tellement, tellement pouvoir changer sa destinée.
– J'étais comme vous pendant longtemps. J'ai fini par accepter que ce destin était entre les mains de Fyris seule. J'ai confiance en elle pour qu'elle se batte jusqu'au bout. Et j'essaie de profiter de chaque moment en sa compagnie.

Raelar leva les yeux au plafond. Il ne savait que trop bien que Maru avait raison, qu'il fallait croire en Fyris. Mais l'état dans lequel il l'avait vue était inédit, et l'inquiétait au plus haut point. Il ne l'avait pas reconnue. Il ne commençait qu'à peine à comprendre ce qu'être agité signifiait, et il était terrorisé.

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