Chapitre 34

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Il fallut une bonne semaine pour réunir les ingrédients nécessaires à un prototype, provenant des quatre coins de l'Empire, de puissantes et sordides créatures, et même d'Abominations elles-mêmes. Raan avait envoyé ses meilleurs éléments, et bien que Fyris ne soit pas à un stade très avancé qui justifie pareille hâte, Raan comprenait la position de Raelar et faisait son maximum pour que le prototype soit prêt dans les meilleurs délais.

Fyris savait que quelque chose se tramait, et lorsqu'elle posa enfin la question à Raelar, il lui promit simplement qu'il lui expliquerait tout le moment venu. Elle s'inquiétait, mais décida de lui faire confiance. Elle avait noté que son humeur s'était nettement améliorée récemment, et ses cauchemars avaient disparu. Elle n'avait pas besoin de plus pour se sentir rassurée.

Lorsqu'on lui annonça enfin que le prototype était prêt, Raelar s'assit avec Fyris dans leur salon, décidant qu'il était temps de tout lui révéler. Une fois terminé, il se trouva confronté au visage impassible de l'Immortelle.

- Qu'en penses-tu ? demanda-t-il enfin.
- Qu'est-ce qui se passera si ça ne fonctionne pas ?
- ... il y a de bonnes chances pour que l'Immortel se transforme tout de suite.

Elle hocha doucement la tête, ses mains perdues dans les franges de son écharpe, qu'elle torturait nerveusement.

- Avez-vous déjà choisi quelqu'un pour porter le prototype ?
- Pas encore.
- Je veux le faire. Vous avez fait tous ces efforts pour moi, il est normal que je prenne ce risque.
- J'étais sûr que tu dirais ça.
- C'est la meilleure chose à faire.

Raelar acquiesça. C'était son choix, et il se devait de le respecter.

*****

Le jour suivant, Raan, Maru, et un cortège d'une douzaine d'Immortels se présentèrent à leur porte pour les escorter hors de la Capitale, où ils tenteraient le tout pour le tout, aussi loin que possible de tout civil pour éviter une possible catastrophe. Au début, Raan avait refusé que Fyris essaie le prototype, se souciant du caractère imprévisible de ses pouvoirs, mais la jeune femme avait fini par le convaincre.

Une fois tous les Immortels prêts, Raan tendit à Fyris une version bleue sombre de son uniforme traditionnel, et recula sans se presser. Raelar, Maru et Raan encerclèrent Fyris, les Immortels dans leur dos, prêts à attaquer si nécessaire.

Fyris se débarrassa rapidement de son uniforme, ne gardant que sa combinaison noire. Comme il ne s'agissait que d'un premier essai, ils n'avaient fabriqué que la tunique, que la jeune femme s'empressa d'enfiler. À peine eut-elle refermé le dernier bouton, ses yeux roulèrent dans ses orbites et elle s'écroula au sol, hurlante et convulsante.

Les Immortels firent un pas en avant, et Raan leur fit signe d'arrêter. La main de Raelar trembla sur le manche de son épée alors qu'il regardait sa femme se tortiller au sol.

À ses pieds, Fyris enfonça ses doigts dans ses cheveux, serrant son crâne aussi fort que possible, et écrasa violemment son front contre le sol, criant dans un mélange de douleur et de désespoir. Près de Raelar, Maru était en pleurs, ses traits distordus par l'horreur de la situation. Fyris roula sur le côté en position fœtale, son œil grand ouvert, injecté de sang. Elle était à bout de souffle, sa respiration rapide et douloureuse, et une de ses mains relâcha enfin son emprise sur son crâne pour donner des coups de poing au sol, faisant frissonner Raelar lorsqu'on entendit les os de ses doigts se briser. Les yeux brûlant de larmes mal contenues, Raelar raffermit sa prise sur son arme.

Elle n'avait de cesse de frapper le sol, agitée de spasmes et hurlant comme un animal mourant, lorsque soudain, elle se recroquevilla sur elle-même, sa main intacte saisissant l'autre comme pour l'arrêter de se blesser. Enfin, elle cessa tout mouvement, seul le son de sa respiration laborieuse emplissant l'air. Toutes les personnes présentes retenaient leur souffle lorsqu'elle se leva lentement en titubant. Au travers du sang bleu qui recouvrait son visage, elle les regarda un à un, perdue, jusqu'à ce que son regard croise celui de Maru.

- Maru, dit-elle d'une voix brisée. As-tu quelque chose à manger ?

Choqué par sa requête, Maru hocha la tête et sortit un biscuit de sa poche. Fyris le saisit avec reconnaissance et en prit une bouchée qu'elle mastiqua longuement. Et enfin, après un lourd moment de silence, elle se tourna vers Raelar, son œil débordant de larmes, et un sourire dans la voix.

- Je... j'en sens le goût.

Maru et Raelar échangèrent un regard surpris, sans comprendre ce qui était en train de se passer. Et enfin, lorsqu'ils réalisèrent le miracle qui venait d'avoir lieu, tous deux s'élancèrent vers Fyris pour la prendre dans leurs bras, leur étreinte si étroite qu'elle en était sans doute douloureuse, mais personne n'en avait cure. Affaiblie et épuisée, Fyris s'effondra contre eux, ses jambes refusant de la porter plus longtemps.

Raelar la prit sans ses bras pour la soulever, riant avec elle. Alors qu'ils échangeaient un baiser, Raan fit signe à ses Immortels de partir. Elle était sortie d'affaire.

*****

S'habituer au nouvel uniforme prit du temps. Le simple fait de le porter était douloureux, la sensation similaire à la morsure de milliers d'aiguilles embrasées, mais elle finit par s'y faire. Maru avait fait des miracles avec sa main, et bien que son traumatisme crânien et la fatigue de cette épreuve l'aient laissée alitée plusieurs jours, elle s'était remise rapidement. Un mois plus tard, il n'y paraissait plus.

Raan leur avait dit qu'il ne s'agissait que d'une solution temporaire, que le parasite était toujours bien présent, qu'il y avait toujours un risque, et qu'ils ne pouvaient pas baisser la garde. Mais ils avaient confiance. Ils voulaient croire que tout irait bien. De son côté, Raan avait promis de redoubler d'ardeur à la tâche pour trouver un véritable antidote qui garantirait la stabilité totale de ses Immortels.

Raelar n'avait jamais vu Fyris aussi heureuse. Elle riait et souriait à la moindre occasion, cuisinait plus que de coutume, animée par une curiosité sans bornes, avide de découvrir de nouvelles saveurs, et redécouvrir celles qu'elle avait oubliées. Leur petite vie redevint normale, et même les cauchemars avaient disparu.

Ce matin là, elle était assise à leur table, ajustant sa tunique alors qu'il posait une tasse de thé devant elle. Il prit place en face d'elle, entourant sa tasse de ses doigts, fermant les yeux pour en apprécier la chaleur. Il porta sa tasse à ses lèvres, prêt à déguster une gorgée de sa boisson favorite.

- Raelar...

La tasse vola en éclats en touchant le sol. Les lèvres légèrement entrouvertes, il la regarda comme s'il la voyait pour la première fois. Elle sourit.

- Merci. Merci pour tout.

Incapable de détacher son regard d'elle, il poussa la table, brisant la deuxième tasse dans la foulée, et la saisit par les épaules pour l'attirer dans ses bras.

- Ne sois pas ridicule. Tu n'as pas à me remercier.
- Vous m'avez sauvée.
- Je l'ai fait parce que je te veux à mes côtés.
- Vous l'avez fait parce que vous vous souciez de moi, dit-elle avec un sourire. Tout ce que vous avez fait depuis le début, c'était pour moi. Je ne pourrais jamais assez vous remercier. Vous m'êtes précieux, au-delà des mots. Et puis...

Elle se détacha de lui, lui adressant un tendre sourire.

- Je vous aime.

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