Chapitre 21

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 L'après-midi même, malgré le fait qu'elle soit toujours mise à pied, Fyris avait dû s'absenter. À son programme, ravitaillement, entretien de ses armes et de son uniforme, ainsi que quelques affaires à régler. Raelar décida d'en profiter pour mettre fin à certaines interrogations qui le hantaient plus qu'il n'osait se l'avouer. C'est ainsi qu'en milieu d'après-midi, il retrouva Maru dans l'arrière-salle d'un salon de thé, dans le plus grand secret.

– Bonjour, Général, salua Maru en cachant une certaine nervosité. Que puis-je pour vous ?
– Je vais être direct, soupira Raelar.
– Je n'en attends pas moins de vous. Quelle est la question que vous n'osez pas poser à Fyris ?
– C'est délicat...

Maru leva un sourcil en voyant l'homme hésiter. Pensant que la discussion serait plus longue et sérieuse que prévu, le soigneur commanda un café et attendit patiemment.

– Elle m'a raconté, commença-t-il enfin, ce que devenir un Immortel signifie, les sacrifices et les conséquences. Mais elle ne m'a pas dit en détails pourquoi elle a fait ce choix, ni ce qu'elle voulait obtenir.

Maru suspendit son geste et le regarda longuement, comme s'il tentait de deviner sa pensée. Au bout de quelques minutes d'un lourd silence, il reposa sa tasse et posa ses mains devant lui, ses doigts se croisant et recroisant nerveusement.

– Elle ne vous a vraiment rien dit ?
– Non, soupira Raelar. C'est bien ce qui m'inquiète.
– Les raisons étaient.... diverses et variées, très compliquées. Fyris vivait une période extrêmement difficile et avait besoin de quelque chose, n'importe quoi pour s'en sortir. Comme elle est très fière, elle a voulu trouver une solution par ses propres moyens, et c'est sans doute ce qui l'a poussée à faire ce choix malheureux.
– C'est un choix des plus extrêmes...
– Je ne peux pas vous révéler ses raisons, car ce n'est pas mon rôle, et je ne peux pas vous dire ce qu'elle recherchait, car je ne le sais pas moi-même. Tout ce que je peux vous dire, c'est de continuer ce que vous avez commencé, et un jour, elle se laissera aller à partager cette partie de son passé.
– Ce que j'ai commencé ?
– Vous vous êtes fait une place de choix dans son cœur, c'est évident.
– Je ne...

Maru vida sa tasse et lui lança un sourire énigmatique.

– Allons, vous êtes intelligent et observateur, vous avez sans doute vu cette lueur dans ses yeux.
– La proximité dans laquelle nous vivons rend ce genre d'attirance tout à fait naturelle. Ça ne veut rien dire.
– Vous vous voilez la face. Mais ce n'est pas de mon ressort. Quoi qu'il en soit, les raisons qui l'ont poussée à faire ce choix ne sont plus qu'un douloureux souvenir que vous êtes tout à fait capable, si non d'effacer, au moins de rendre plus facile à supporter. Quant aux conséquences, le simple fait de vous avoir près d'elle la rend plus forte.
– Je ne sais pas si je suis capable de...
– Vous l'êtes. Fyris est là pour vous, Général, et vous êtes là pour elle. Mais ne sous-estimez pas le poids de son fardeau. Et n'oubliez pas qu'elle est stupide lorsqu'il s'agit de ce genre de chose, et qu'elle fera toujours passer vos intérêts avant les siens. Alors si vous le pouvez...

Maru marqua une pause en se levant.

– Non... si vous le voulez, Général... empêchez-la de se sacrifier. Fyris a besoin de comprendre qu'il existe d'autres façons de protéger les autres, ou de leur montrer qu'on les aime.

Le jeune homme commençait à s'éloigner lorsque Raelar bondit à ses côtés, le rattrapant par la manche.

– Maru ! Je voulais m'excuser. Pour ma réaction, à notre première rencontre. C'était ridicule et déplacé.

D'abord surpris, il ne répondit que par un franc sourire. Tout était pardonné.


*****


 Un mois passa sans qu'aucun incident majeur ne vienne perturber le quotidien. Le couple continuait de se fréquenter en toute impunité, et si au départ Raelar avait eu des réticences à venir dans leurs appartements aussi souvent qu'il le souhaitait, le large sourire que Fyris avait affiché à chaque fois avait balayé toutes les craintes du jeune homme. Il passait à présent bien plus de temps chez eux que chez lui, et Fyris semblait sincèrement s'en réjouir. Peu à peu, Raelar avait amené quelques affaires, un livre par-ci, un vêtement par là, jusqu'au point où Fyris se demandait ce qu'il pouvait bien lui rester dans son petit appartement triste et poussiéreux.

Ils avaient eu de nouveau l'occasion de se rapprocher physiquement quelques fois, au sortir d'un combat difficile, avant une mission stressante, ou tout simplement au beau milieu de la nuit, et tous deux en avaient pleinement profité sans se poser de questions. La plupart du temps, ils ne faisaient que suivre des pulsions trop fortes pour être refrénées et ne trouvaient de toute façon aucune raison valable de se retenir, l'autre étant toujours plus que consentant. Et à chaque fois, l'attirance était plus forte, plus intense que la précédente, bien qu'elle les laisse avec un sentiment d'insatisfaction perturbant.

Toutefois, peu à peu, le confortable silence dans lequel ils se nichaient se muait en un douloureux non-dit. Raelar ne savait pas ce qu'en pensait sa compagne, mais ses questions commençaient peu à peu à peser sur son cœur et sa conscience. Il n'était pas stupide. Il sentait bien que leur relation avait depuis longtemps dépassé le stade de la simple attirance physique. Les gestes tendres, paroles, regards et sourires que Fyris avait à son égard n'étaient pas non plus ceux que l'on avait pour un simple amant, ou même un ami proche. Ce désir toujours grandissant, presque dévorant, n'était plus entièrement satisfait. Il avait commencé à avoir besoin de plus.

Raelar pensait être tombé éperdument amoureux, et être aimé en retour. Seulement, il n'avait pas suffisamment d'expérience sur ce terrain pour être totalement sûr de ce qui se passait. Il sentait bien qu'il aurait dû savoir instinctivement, mais craignait tant de se tromper que les pistes se brouillaient. Poser la question était une solution, mais bien trop embarrassante pour que Raelar puisse sérieusement la considérer. Il songea également à demander conseil à Mahir, mais renonça bien vite. Bien qu'il sache pertinemment que son cher ami ne s'abaisserait pas à le tourner en dérision sur un sujet si sérieux et sensible, Raelar pensait que c'était un problème qu'il devait régler lui-même. Mahir s'était déjà bien trop immiscé dans cette histoire à son goût, et Raelar préférait largement que ce genre de chose reste entre lui et Fyris. Il n'était plus un adolescent, et n'avait pas besoin de l'aide de ses amis pour faire le point sur ce qu'il ressentait. Ce n'était peut être que sa première histoire d'amour sérieuse, mais Raelar voulait faire les choses correctement, et le plus naturellement possible.

Le jour où Fyris lui annonça qu'elle était envoyée hors des frontières de l'Empire pour une mission de longue haleine, Raelar se sentit étrangement soulagé. Bien que savoir Fyris loin de lui soit toujours vaguement douloureux, le jeune homme sentait que c'était le bon moment pour mettre un peu de distance entre eux, et laisser le temps faire son travail. Raelar se dit que s'il se trouvait incapable de supporter l'absence de Fyris, ses questions trouveraient leurs réponses.

Le départ de l'Immortelle se fit sans fioritures ; il l'avait accompagnée sur le port, jusqu'au ferry qu'elle devait prendre. Tandis qu'elle vérifiait une dernière fois qu'elle n'avait rien oublié, elle lui demanda tout simplement de prendre soin de lui et promit de revenir aussi vite que possible. Alors que la présence du voile et de quelques témoins décidait Raelar à renoncer à l'enlacer avant qu'elle n'embarque, la jeune femme franchit d'un pas la distance qui les séparait, dégrafa prestement un côté de son voile, cacha le reste de son visage d'une main et donna au Général un baiser un peu désespéré. Alors que Raelar entendait très clairement le hoquet surpris des passants, il esquissa un sourire au travers du baiser et se laissa aller à serrer sa compagne contre lui. Fyris poussa un soupir de bien-être avant de se séparer de lui à contrecœur. Tandis qu'elle remettait son voile en place, Raelar ne l'avait pas lâchée et posa son front contre le sien en soupirant.

– Reviens-moi entière, murmura-t-il.
– Et prenez soin de vous.

Le Général hocha la tête avec un sourire et la libéra de son étreinte à regret. La jeune femme eut un dernier regard tendre puis monta à bord sans se retourner.

L'ArrangementOù les histoires vivent. Découvrez maintenant