Chapitre 7 (réécrit)

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18 octobre 1943

Même si je ne suis plus soumise à l'obligation scolaire, mon père a insisté pour que je retourne à l'école le 2 octobre dernier. Il préfère que je continue à donner l'image d'une adolescente normale dont l'activité principale est d'assister à la classe. Depuis deux ans, la rentrée est fixée au mois d'octobre afin d'éviter aux élèves une accumulation de fatigue liée à la sous-alimentation provoquée par le rationnement. Chez nous, cette mesure a été très bien accueillie car bon nombre de mes camarades de classe participent aux travaux des champs soit dans l'exploitation familiale soit chez des amis de la famille qui ne disposent pas d'aides en suffisance.

Ce retour sur les bancs de l'école m'empêche de continuer pleinement mes missions pour la Résistance à mon grand mécontentement. Heureusement j'ai toujours l'autorisation de continuer avec Paul les incursions dans la grange des Hamon – Brunel : en général nous nous y rendons toutes les trois semaines en prenant soin de changer systématiquement le jour et l'heure de nos expéditions.

Je cache une partie de mes provisions dans l'étable et une autre partie dans la grange et je suis certaine que mes cachettes ne pourront jamais être découvertes car j'ai pris le plus grand soin pour dissimuler le fruit de mes larcins. Jusqu'à présent Paul, François, mon père et moi, nous n'avons rien entendu dans les conversations au village qui pourrait nous laisser croire que les Hamon-Brunel sont au courant de quelque chose. Soit ils n'en ont parlé à personne car leur fierté en a pris un sacré coup, soit ils ont tellement de vivres qu'ils n'ont même pas remarqué qu'il leur manquait des provisions.

En classe, il manque plusieurs élèves car désormais les enfants juifs n'ont plus l'autorisation de suivre les cours avec les non juifs. Mais ce n'est pas la seule raison qui explique la forte diminution d'élèves à l'école : certains habitants du village qui ont de la famille en Angleterre ont tout simplement décidé de quitter la France car ils pensent qu'Hitler ne pourra jamais conquérir les îles britanniques.

En sortant du bâtiment à la fin des cours, Paul et moi nous remarquons un attroupement sur la place du village : nous la rejoignons rapidement et nous nous faufilons parmi la foule pour mieux voir ce qu'il se passe.

Nous apercevons alors une femme qui est agenouillée aux pieds d'un soldat allemand : ce dernier la maintient dans cette position d'une main ferme posée sur sa nuque. Je reconnais immédiatement Elisa, l'épouse du professeur Duhamel.

A côté de moi, la gérante de l'épicerie, Madame Prevost, observe la scène les larmes aux yeux : je lui demande discrètement si elle sait pourquoi Elisa se trouve là. La vieille dame me chuchote qu'apparemment elle a tenté de voler des provisions à la Kommandantur.

Notre conversation est interrompue brusquement par le soldat allemand qui interpelle la foule d'un air menaçant. Il s'agit de l'un des assistants personnels du commandant Heydrich von Wegener, ce qui signifie que ce qu'Elisa a fait est grave aux yeux de l'officier allemand.

- Il semble que les consignes données par le commandant Heydrich von Wegener n'ont toujours pas été comprises ou entendues par la population de Colleville sur Mer. Je vous rappelle que vous êtes sous l'autorité du Troisième Reich et par conséquent, vous avez pour obligation de respecter chaque instruction communiquée par la Kommandantur. A partir de ce jour, toute personne qui sera surprise à voler ou tenter de voler les biens de la Wehrmacht sera sévèrement puni.

Je vois alors le soldat prendre une cravache qui pend à la ceinture de son pantalon et il commence à fouetter Elisa : la violence des coups qu'elle reçoit la fait tomber face contre terre.

Les larmes d'Auschwitz {Tome 1 et 2 publiés  chez Poussière de Lune Édition }Où les histoires vivent. Découvrez maintenant