Chapitre 17 (réécrit)

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15 janvier 1944

Victorine, l'une de mes tantes, l'épouse du plus âgé des frères de mon père, est arrivée à la maison dans la nuit : je dois dire que ma mère et moi nous avons été très étonnées car  lorsque nous avons entendu frapper à notre porte nous avons immédiatement pensé à une visite des Allemands ou de la Milice. Notre surprise a donc été totale quand, en regardant discrètement par la fenêtre, nous avons aperçu Victorine et ses deux filles, Rosalie et Adèle.

Ces dernières nous ont expliqué qu'elles ont quitté Rouen la semaine dernière car leur maison a été complètement rasée par un bombardement intensif le 7 janvier. Elles n'ont plus rien : elles ont juste eu le temps de s'abriter dans une cave lorsque l'alerte a retenti.

Selon elles, ce sont les Alliés qui sont responsables de cette catastrophe et qui ont lâché des centaines de bombes sur toute la ville. Je ne comprends pas. Ils ne sont pas censés attaquer les Allemands ?Pourquoi s'en prennent-ils aux civils ? Nous avons déjà tant souffert depuis le début de la guerre et eux...

Bien malgré moi je tape du poing sur la table de la cuisine et ma tante me dévisage avec curiosité. Ma mère lui propose alors de rester mais Victorine souhaite tenter de gagner La Rochelle où réside une partie de sa famille. Elle nous demande simplement de les héberger pour deux jours afin qu'elles puissent se reposer un peu : ma mère accepte tout naturellement.

Tandis que nous préparons un maigre dîner, Victorine nous explique que ses filles et elle ont voyagé en carriole pendant plusieurs jours et plusieurs nuits sans s'arrêter. Je les dévisage avec curiosité car j'ai du mal à les imaginer se déplaçant seules sur les routes normandes, elles qui sont particulièrement attachées à leur confort. Elles devaient vraiment être désespérées pour s'arrêter à notre porte car je me rappelle parfaitement que mon oncle, un avocat renommé, n'aimait pas particulièrement rappeler son appartenance à notre famille de paysans.

Je suis d'ailleurs étonné qu'il ne soit pas avec sa femme et sa fille : comme si ma tante devinait mes pensées, elle explique que son mari a décidé, au début de la guerre, de rejoindre en exil le Général De Gaule en Angleterre. Je trouve un peu surprenant que mon oncle soit parti seul en laissant sa famille à Rouen : je m'apprête à poser la question à ma tante mais je me ravise car cela ne me regarde pas.

Après le repas, tandis que Victorine et ma mère discutent et que Rosalie et Adèle se reposent un peu, je sors de la maison. Mes pas me mènent instinctivement vers les ruines de la ferme de Paul : je m'assieds sur une petite pierre et contemple les restes de ce qui fut l'habitation de mon meilleur ami et de sa famille.

Aurait-il accepté mon initiative ? Aurait-il accepté que je prenne autant de risques pour le venger ? Je ne le saurais jamais mais j'ai au moins une certitude, j'irais jusqu'au bout car si je reste prostrée à la maison, je suis définitivement bonne pour l'asile. J'ai besoin de remplir mes journées, l'école ne me le permet pas, j'ai besoin de me sentir utile, de bouger, d'occuper mon esprit sinon je sais que je vais ressasser encore et encore les mêmes pensées négatives.

Après quelques instants de recueillement, je jette un dernier regard sur les ruines puis je rebrousse chemin afin de gagner Saint Laurent et plus précisément, la maison d'Antoine. Après de nombreuses négociations au gré de ses visites chez nous, il a finalement accepté de m'expliquer le fonctionnement d'un fusil et il a surtout accepté de ne pas en parler à ma mère.

Grâce à une connaissance, il a pu se procurer une arme qui est devenue mienne la semaine dernière. Pour qu'il accepte, je lui ai expliqué que je souhaitais pouvoir me protéger en cas d'agression pendant l'accomplissement de mes missions. Il avait acquiescé et moi, j'avais été surprise qu'il se contente de cette remarque.

Depuis, tous les 3 jours environ, je me rends chez lui pour qu'il m'enseigne les bases : nous ne nous exerçons pas au tir, c'est bien trop risqué mais je pense avoir saisi l'essentiel et je crois que je pourrais utiliser mon arme sans trop de problème le moment venu.

Dans quelques jours je recevrais plusieurs paquets de munitions que je vais cacher dans l'ancienne cave de la maison de Paul qui est quasiment inaccessible depuis l'incendie.

Lorsque j'arrive chez Antoine, celui-ci me serre dans ses bras.

- J'ai un cadeau pour toi.

Je le regarde sans comprendre.

Il déplie alors devant moi un petit linge dans lequel sont enveloppés 3 poignards de combat qui m'accompagneront désormais lors de chacune de mes missions.

A ce sujet, bien que privée désormais de mon compagnon de route, j'ai décidé d'opérer un nouveau raid chez les Hamon-Brunel car nos réserves sont très maigres et l'arrivée imprévue de Victorine n'arrange nos affaires. A la nuit tombée, je prends avec moi un grand sac en toile de jute dans lequel nous conservons nos pommes de terre.

Cette fois, je suis bien décidée à emporter avec moi un maximum de vivres. Trois heures plus tard, je suis de retour sans avoir rencontré le moindre problème et je suis soulagée à l'idée que nos repas sont assurés pour un bon moment.

Lors de mon intrusion dans la grange, j'ai été une nouvelle fois choquée par l'abondance de victuailles que possède la famille Hamon-Brunel : depuis mes premières incursions chez eux, je suis persuadée qu'ils n'ont même pas remarqué le moindre petit changement.

Je me couche avec le sentiment du devoir accompli.


16 janvier 1944

Je consacre mon dimanche matin à m'exercer avec mes nouveaux poignards et Antoine, une nouvelle fois, est mon professeur. Au bout de deux bonnes heures d'entraînement je me révèle redoutable dans le maniement de ces objets particuliers.

Antoine est surpris de la hargne que je montre durant tout l'exercice mais il n'est, comme personne d'ailleurs, pas au courant de mon projet, il ne peut pas comprendre.

Dans l'après-midi, je rejoins un coin reculé dans l'arrière-pays pour aller chercher un nouveau message car la boite aux lettres a été déplacée par précaution : le groupe a décidé de ne plus utiliser la cachette de la falaise sauf en cas de circonstances exceptionnelles.

Durant le trajet, je repense aux différents messages que nous entendons tous les soirs à la radio : je ne les comprends pas tous mais je devine que les opérations de sabotage se multiplient un peu partout. Par les journaux et canaux d'information de la Résistance, j'apprends que de Cherbourg à Saint-Lô et de Caen à Honfleur, les missions se sont multipliées en 15 jours.

Serait-ce les signes annonciateurs d'un débarquement ? Non, à bien y réfléchir, cela me semble un peu tiré par les cheveux. Nous sommes en plein hiver et les conditions climatiques ne sont vraiment pas les meilleures. Mais qui sait ? Je note mentalement d'être plus attentive aux bulletins d'information du soir par peur de rater un message important.

Au bout d'un petit chemin en plein milieu des champs, j'arrive auprès d'un vieux puit abandonné : je vérifie scrupuleusement qu'il n'y a personne aux alentours puis je déboite l'une des briques pour découvrir une petite cavité.

Le message que j'y recueille m'interpelle : « le fromage est rempli d'asticots »

Je fronce les sourcils : ce n'est vraiment pas une bonne nouvelle et je comprends pourquoi il était si important que je le recueille.

De nouvelles troupes allemandes sont attendues dans la région et tous les groupes doivent être en alerte. Il va donc également falloir se montrer extrêmement prudent car, qui dit nouvelles troupes signifie plus de patrouilles, plus de contrôles, plus de surveillances.

Je m'empresse de regagner la ferme car j'ai une nouvelle fois traîné en route et le couvre-feu n'est pas loin. Sur le chemin du retour, je passe près d'un petit ruisseau, j'y trempe le petit bout de papier pour le détruire.

Je réfléchis à l'avertissement qui y était indiqué.

J'avais pensé à tout sauf à une chose...

Les larmes d'Auschwitz {Tome 1 et 2 publiés  chez Poussière de Lune Édition }Où les histoires vivent. Découvrez maintenant