Chapitre 11 (réécrit)

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13 - 14 décembre 1943

Dans la cour de la ferme, je lève les yeux vers le ciel : c'est la pleine lune ce soir et il fait presque aussi clair qu'en plein jour. Nous n'avons cependant pas le choix, nous devons agir cette nuit.

Notre objectif est de détruire un abri à munitions situé à l'arrière de la batterie allemande de la Pointe du Hoc. Lorsque François nous a briefé Paul et moi hier soir je l'ai dévisagé totalement ahurie car selon lui la Pointe du Hoc est une petite avancée de la côte normande dans la mer qui surplombe une falaise de 30 mètres de haut et où se trouve six obusiers, un poste de direction de tir, des abris, des casemates, et...200 Allemands dispersés sur l'ensemble du site.

Je demande à François pourquoi ce lieu et cette mission très risquée. Il m'explique que la batterie est encore en construction, ce qui est très étonnant étant donné que la guerre a débuté il y a quatre ans, et que suite aux rumeurs de plus en plus insistantes de débarquement allié, les Allemands sont occupés à boucher les trous de leur mur, de leur Atlantikwall, ces affreuses fortifications principalementcomposées de bunkers et de batteries , qu'Hitler a installé sur tout le littoral français. C'est pourquoi, avant que les Boches ne renforcent leurs positions, il faut tenter de détruire une partie des bâtiments et à ce titre, les abris à munitions sont des cibles privilégiées.

Je suis heureuse d'avoir une bonne condition physique car pour se rendre là-bas il faut presque deux heures de marche. Sur place, le terrain est dégagé : il s'agit d'une vaste plaine et sur plusieurs kilomètres, il n'y a que des champs, des fossés, des buissons et des haies. De nombreuses vérifications ont été faites avant ce soir pour déterminer un itinéraire précis nous permettant d'éviter plusieurs champs de mines et pour rester à couvert le plus possible, ce qui ne sera pas une mince affaire : outre la Pointe du Hoc, la quasi-totalité du trajet va s'effectuer sur des routes et des sentiers presque entièrement dégagés.

Je suis impatiente de me mettre en route : j'embrasse rapidement ma mère, je lui promets de faire attention et je quitte la maison. Nous sommes six, je suis la seule fille. Le dénommé Emile, que j'avais eu l'occasion de rencontrer l'été dernier, ouvre notre petit cortège et, entre Colleville et Saint Laurent, nous progressons rapidement car les collines sont relativement bien boisées.

Le ciel se couvre alors et nous nous retrouvons dans l'obscurité : nous utilisons cependant avec modération nos lampes de poche car, pour éviter Saint Laurent, nous sommes obligés de nous rapprocher de la mer et des positions allemandes. Heureusement ce secteur nous permet de rester à couvert la majorité du temps.

A la sortie du dernier hameau avant notre destination finale, Emile fait soudain un geste brusque : l'homme qui se trouve derrière moi me plaque violement au sol et nous nous retrouvons couchés dans un fossé humide. Au loin j'entends le bruit si particulier des bottes allemandes qui résonne dans la nuit : je commence à trembler et je retiens ma respiration tant bien que mal.

Le bruit se rapproche, la patrouille se trouve désormais sur la route de l'autre côté de la haie. Je sais que normalement ils ne peuvent pas nous voir mais malgré cela, mon cœur bat à toute vitesse. Enfin, les soldats allemands s'éloignent et je commence à respirer plus calmement. J'ai mal partout à force de faire le maximum d'efforts pour rester immobile, je sens des picotements dans la jambe droite et je transpire alors que la température extérieure est fraîche.

Je m'apprête à me relever quand le claquement des bottes sur la route s'interrompt brusquement : les Allemands ne doivent pas être à plus de 10 mètres de l'endroit où je me trouve. Je sursaute lorsqu'une voix rauque brise tout à coup le silence : elle s'exprime en français avec un accent qui ne fait aucun doute sur l'identité de celui qui vient de parler.

Les larmes d'Auschwitz {Tome 1 et 2 publiés  chez Poussière de Lune Édition }Où les histoires vivent. Découvrez maintenant