Chapitre 9 (réécrit)

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27 novembre 1943

Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit tant j'ai du mal à assimiler les évènements d'hier. Je suis sous le choc, je n'arrive toujours pas à réaliser que James fait partie de la Milice, qu'il a rejoint les rangs ennemis et que par-dessus tout il a tué Lucienne de la manière la plus affreuse qui soit.

Je me demande si ses parents sont au courant : non, cela m'étonnerait, ils sont partis il y a trois ans en Ecosse, le pays d'origine de Moira, la mère de James.

Curieusement ce souvenir est encore bien présent dans ma mémoire : je me rappelle parfaitement le désespoir de cette femme devant le refus de son fils de les accompagner dans l'exil. James avait fait toute une scène au village au moment du départ de ses parents : il avait tempêté qu'il était né en France, qu'il vivait en France, qu'il était français et qu'il resterait en France quoi qu'il arrive. Il n'avait cessé de hurler sur la route tout en contemplant leur voiture qui quittait Colleville et ses dernières paroles m'avaient littéralement glacée : comme une sentence, James avait crié qu'il ne leur écrirait jamais et qu'il n'était plus leur fils.

James...

Mes souvenirs à son sujet remontent par dizaine : je me rappelle que, lorsque je jouais les samedis sur la plage avec Esther et le petit Josh, sous la surveillance de nos parents respectifs, Edouard, Victor et James n'étaient jamais bien loin.

Ces trois-là étaient inséparables, je les voyais toujours ensemble. Comme ils avaient sept ans de plus que moi, je ne m'intéressais pas à eux car leurs occupations étaient bien différentes des miennes. Cependant ils venaient régulièrement sur la plage lorsque je m'y trouvais et ils saluaient toujours poliment ma mère et la mère d'Esther. Parfois les trois garçons nous aidaient bien volontiers à construire de fantastiques châteaux de sable.

Je soupire en repensant à cette époque heureuse : tout cela me semble si loin à présent.

Lorsque l'Allemagne a envahi la France, je me rappelle que James s'était enfermé dans sa maison pendant plusieurs jours. Par la suite, ses sorties au village étaient devenues très rares et finalement, nous ne l'avions plus vu au début du mois de décembre 1940. Son voisin, qui s'inquiétait de ne plus l'apercevoir, avait frappé en vain à la porte de la maison puis, en faisant le tour du jardin, il avait compris que la demeure était vide, abandonnée par son propriétaire.

Quelques jours plus tard, Edouard et Victor disparaissaient également.

Mon père a toujours pensé que James et ses deux amis étaient partis rejoindre un groupe de résistants du côté de Bordeaux ou Périgueux car ils avaient tous les trois de la famille dans cette région. Jamais nous n'avons envisagé que James puisse rallier l'ennemi et jamais, je n'aurais imaginé que je le reverrais vêtu d'un uniforme d'officier à 23 ans à peine.

Je n'arrive pas à comprendre son geste : comment a-t-il pu faire une chose pareille ? Comment a-t-il pu assassiner Lucienne ? 

Elle qui l'a hébergé régulièrement après le départ de ses parents pour l'Ecosse, elle qui l'a aidé pour ses devoirs pendant toute sa scolarité, elle qui lui a même permis de décrocher un petit boulot à Caen chez un de ses cousins qui tenaient une épicerie. 

Pourquoi cette haine soudaine envers une femme qui avait toujours cherché à lui rendre service ?Pourquoi accepter de collaborer avec les Allemands alors qu'il était si fier de son pays ?

Je ne comprends pas. Décidément, je ne comprends pas. Quand je pense qu'il connaissait sans exception les dix résistants massacrés hier, cela me donne la nausée.

Les larmes d'Auschwitz {Tome 1 et 2 publiés  chez Poussière de Lune Édition }Où les histoires vivent. Découvrez maintenant