Chapitre 8 (réécrit)

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24 novembre 1943

Nous sommes sans nouvelles de Lucienne, la tante de Paul, depuis 3 semaines : mon père pense qu'elle aussi fait partie de la Résistance et qu'elle a fuis pour ne pas être arrêtée. Cependant à sa connaissance, elle n'a pas commis d'acte répréhensible, visible du moins, sinon il est certain que les Allemands se seraient fait un plaisir de l'arrêter et de la battre en public comme ils ont fait avec Elisa il y a un mois maintenant.

Ma mère, qui retrouvait petit à petit des forces et une santé correcte grâce à mes excursions chez les Hamon-Brunel, est de nouveau alitée : elle ne se remet pas de la mort de sa cousine, elle a toujours un regard vide, inexpressif, elle ne parle presque pas. Cette saleté de guerre est en train de la détruire et cela me met hors de moi.

L'inaction des Alliés commence également à m'énerver. Grâce aux journaux clandestins et Radio Londres, nous savons que les dirigeants américains et anglais se réunissent régulièrement en Angleterre ou aux Etats Unis.

Super. Très bien. Et cela nous avance à quoi ? Parler, parler, ils ne savent donc faire que ça ?

Et ce débarquement dont tout le monde parle, c'est pour quand ? Dans 10 ans ?

J'en ai marre d'attendre, j'en ai marre des Allemands, j'en ai marre d'avoir faim et froid, j'en ai marre de voir ma mère malade et j'en ai marre de devoir risquer ma vie pour nourrir ma famille.

Ces commandants, colonels, ou je ne sais quoi encore, ils ne savent pas ce que c'est le rationnement, les privations, le couvre-feu, ils ne savent pas ce que c'est de vivre en étant constamment surveillés.

Depuis le débarquement raté de Dieppe, qu'ont-ils fait ? Rien.
Ah si, virer les Allemands de la Sicile. Mais cela fait plus de 4 mois maintenant.

Et depuis,...

Oh il y a bien des batailles je ne sais trop où du côté de la Russie. Mais à quoi ça sert ? A rien !

Je rumine ces pensées, emmitouflée dans une vieille couverture et je contemple la plage. Il fait frais, nous sommes presque en hiver tout de même, mais de temps en temps j'aime beaucoup venir contempler la mer depuis la colline toute proche de ma ferme.

Nous avons un peu de chance, il s'agit d'un des rares endroits de la région sans bunker allemand : cette particularité a d'ailleurs toujours étonné mon père.

Autour de moi tout est paisible et la nature est reine : il n'y a que des champs, des bosquets et des bois à perte de vue. Même si j'ai le malheur de vivre en zone occupée, je ne souhaiterais vivre ailleurs pour rien au monde. 

La luminosité décline lentement : il est temps que je rentre pour ne pas prendre froid.

Aujourd'hui, la classe n'a été assurée que jusqu'à 12h30, j'ai donc profité de mon après-midi de liberté pour me promener et tenter de me détendre un peu.

Depuis l'assassinat d'Elisa, l'atmosphère est pesante au village : personne n'est dupe cependant, tout le monde sait que ce sont les Boches qui l'ont tuée.

Les habitants n'osent plus discuter entre eux à la sortie de l'épicerie : ils se pressent, le sac à provisions sous le bras, de regagner leur domicile.

Les Allemands s'amusent de cette situation et ils l'utilisent à leur avantage car nous avons reçu un tract nous informant que chaque personne qui transmet des informations utiles à la Kommandantur recevra des tickets de rationnement supplémentaires pendant trois mois. Cela fait donc quelques semaines que mes dénonciations se multiplient du côté de Saint Laurent et de Port en Bessin. Je suis vraiment écœurée car certains habitants de notre village et des environs semblent prêts à faire n'importe quoi, quitte à envoyer leur proche voisin à la mort, pour récupérer un peu de beurre ou un peu de pain. En créant le chaos et la suspicion partout, les Boches règnent désormais en maître sur notre région.

Les larmes d'Auschwitz {Tome 1 et 2 publiés  chez Poussière de Lune Édition }Où les histoires vivent. Découvrez maintenant