5 janvier 1944
Je me réveille en sursaut, le cœur battant et le corps ruisselant de sueur : je constate que je suis dans mon lit alors que je n'ai aucun souvenir de mon retour à la maison.
Désorientée, je regarde autour de moi puis petit à petit je me rappelle la nuit atroce que je viens de vivre. Je n'arrive pas à croire que Paul n'est plus là, que François et Suzanne ne sont plus là, je n'arrive pas à croire qu'ils ont tous les trois été sauvagement battus et torturés, je n'arrive pas à croire que je ne verrais plus jamais le sourire de mon meilleur ami , que je ne passerais plus un seul dimanche avec lui et que je suis seule désormais, qu'il n'y a plus personne pour me protéger.
Je crois entendre des bruits au rez-de-chaussée et je décide de quitter mon lit pour m'habiller machinalement.
Des souvenirs commencent à affluer dans mon esprit, un mélange curieux d'images des derniers instants de Paul dans mes bras et de nos après-midi à la plage. Je m'appuie un instant contre mon bureau et je tente de combattre une affreuse nausée.
Les jambes tremblantes, je descends péniblement l'escalier et je rejoins ma mère dans la cuisine. Je suis surprise de la voir en compagnie d'Antoine : ils ont le teint pâle et de grands cernes autour des yeux.
Ils discutent à voix basse et ne m'ont pas encore aperçue.- Tu penses vraiment qu'ils sont impliqués ?
- Nous sommes plusieurs à le croire. Et puis, il y a ce que nous avons trouvé sur...
Je vois ma mère se tourner brusquement vers moi et Antoine cesse immédiatement de parler.
Machinalement je regarde la vieille horloge coucou de ma grand-mère qui indique 9h30.
- Je t'ai laissé dormir. Le professeur Duhamel a annulé la classe aujourd'hui.
J'ai compris à mon arrivée dans la pièce que ma mère et Antoine parlaient de l'incendie et de l'assassinat de mon meilleur ami.
Je me tourne vers Antoine, bien décidée à recueillir un maximum d'informations.
- Vous savez quelque chose Antoine ? Est-ce que vous savez qui a...
- Je suis désolé Anna mais pour l'instant nous n'avons que des soupçons. Sans preuve tangible, il n'est pas prudent d'accuser qui que ce soit par les temps qui courent.
- Mais vous avez une idée quand même. Les Allemands...
- Je ne pense pas.
- Vous ne pensez pas ?
- Anna, je sais que c'est très dur pour toi mais... ne cherche pas à savoir. C'est dangereux pour toi.
- Dangereux ? Je...
- Laisse-nous Anna, s'il te plait.
Scandalisée par son attitude et sa manière de me parler, j'attrape mon manteau, mon bonnet et mon écharpe, je les enfile rapidement, je fais un vague signe de tête à ma mère puis je sors de la maison en claquant la porte violemment.
Il fait froid mais je marche tellement vite que des petites gouttes de sueur commencent à perler sur mon front. Sans réfléchir, je suis le chemin qui mène à l'une des falaises qui donnent sur la plage, un des rares endroits sans bunker et surveillance allemande.
Au fur et à mesure que j'avance, ma colère disparaît pour faire place à un profond chagrin et un immense désarroi. Le vent provenant de la mer balaye mes cheveux dans tous les sens mais je m'en moque. J'ai l'impression d'être devenue une coquille vide, la force et la hargne qui faisaient partie de moi depuis que je m'étais engagée dans la Résistance se sont éteintes définitivement comme mon meilleur ami.
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Les larmes d'Auschwitz {Tome 1 et 2 publiés chez Poussière de Lune Édition }
Historical FictionAnna a 12 ans lors qu'éclate la seconde guerre mondiale en 1939. Ses parents entrent dans la résistance et Anna leur apporte son aide. Au début de l'année 1944, âgée de 16 ans, elle croise la route d'un jeune soldat polonais dont elle tombe amoureu...