Les larmes d'Auschwitz {Tome 1 et 2 publiés chez Poussière de Lune Édition }

Chapitre 19 (réécrit)

22 janvier 1944

Cela fait six jours que ces quatre abrutis sont à la maison, six jours depuis lesquels je tourne en rond.

Je suis obligée de me comporter comme une fille tout à fait normale, une fille qui aide sa mère aux tâches quotidiennes, qui va à l'école et fait ses devoirs bien gentiment et cela commence à me peser.

Si ce n'était que cela...

Ces affreux soldats ont une conduite tout à fait déplacée et si cela continue je vais finir par exploser. J'ai bien vu que deux d'entre eux ne cessaient de reluquer ma mère mais qu'ils essaient seulement de l'approcher, ils auront affaire à moi car ils ne me font pas peur.

Aujourd'hui c'est au tour de l'officier polonais de faire le guet à notre porte. En six jours j'ai eu tout le temps de bien l'observer car il a pris tous ses repas avec ma mère et moi sans exception : ce gars-là, il n'est vraiment pas à sa place j'en suis certaine.

Malgré le froid je décide d'aller lui parler : j'ai besoin de savoir, je n'en peux plus de me poser toutes ces questions à son sujet, j'ai envie de comprendre et d'en savoir plus. Je suis définitivement convaincue qu'il est malheureux et surtout qu'il est maltraité par ses compagnons car il sursaute au moindre bruit et il regarde toujours autour de lui comme s'il s'attendait au pire.

Une petite voix au fond de moi me dit que ces raisons ne sont qu'accessoires et que mes motivations sont bien éloignées de cela : je secoue la tête en soupirant et je tente de retrouver mes esprits.

Je m'enveloppe dans un vieux châle de ma mère et je me rends à l'extérieur. Je lui dis bonjour et, quand je lui explique je veux lui parler, j'ai l'impression qu'il est vraiment très mal à l'aise. C'est bien la première fois qu'un homme est intimidé par ma petite personne..., un allemand en plus. Ah non c'est vrai, il est polonais : décidément je n'arrive pas à m'y faire.

Je le dévisage un instant et, dans ma tête, je me dis qu'il est décidément très plaisant à regarder : il a un regard absolument incroyable, des traits fins et...

Je m'arrache à ma contemplation totalement déplacée car il me fixe également et je suppose qu'il attend certainement que j'entame la conversation ou alors il doit vraiment me trouver très impolie.

Je lui explique que je ne vais nulle part et que j'ai seulement envie de discuter avec lui. Il acquiesce d'un signe de tête.

Je ne sais pas pourquoi mais je lui pose toutes mes questions l'une à la suite de l'autre sans prendre le temps de respirer ou de faire une pause. Je veux tout savoir de lui : son nom, son âge, d'où il vient, s'il est marié, s'il a des enfants, comment il s'est retrouvé dans la Waffen SS si ce n'était pas son souhait, ce qu'il faisait avant la guerre, s'il a de la famille en France ou ailleurs.

L'officier me dévisage complètement ahuri puis il toussote et finit par répondre posément à toutes mes questions. J'apprends enfin qu'il s'appelle Adam et qu'il a 23 ans. Je l'écoute attentivement m'expliquer que son père l'a abandonné lui et sa mère à Berlin peu après leur installation dans la capitale allemande en 1930 alors qu'il avait 10 ans. Il m'indique ensuite que sa mère s'est remariée et qu'il a dû promettre à son beau-père de s'engager dans la Wehrmacht à ses 18 ans. Je le dévisage sans comprendre lorsqu'il évoque son intégration dans l'armée puis dans la SS.

A sa manière de s'exprimer je suis convaincue qu'il me cache volontairement des détails et je comprends qu'il n'a pas eu la vie facile jusqu'à présent. Je me sens totalement bouleversée quand il évoque son père et je suis à deux doigts de prendre Adam dans mes bras pour le consoler tant je suis certaine qu'il va finir par fondre en larmes. Je réalise que ma vie, avant la guerre, était bien heureuse en comparaison à la sienne. Je voulais juste apprendre à le connaître en lui posant mes questions et je me rends compte à présent que, même s'il ne s'est pas défilé, Adam n'a évoqué ses souvenirs qu'à contrecœur.