Chapitre 5

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Ariane ressent plusieurs émotions contradictoires, parvenant enfin à sortir de l'affreux labyrinthe. Elle est soulagée de s'en être sortie, mais intriguée aussi par cette entité qui l'a sauvée, et enfin déçue de ne voir en sortant de ce lieu que l'immensité blanche dans laquelle elle a erré tout à l'heure. De plus, son cauchemar est anormalement long : elle n'a pas à subir tout ça d'habitude, elle se réveille au bout de quelques flashs d'horreur. Maintenant elle a beau essayer de se réveiller, rien n'y fait, comme si elle était coincée... A cette idée, la jeune femme sent l'angoisse lui nouer l'estomac : va-t-elle parvenir à se réveiller ? La logique est de son côté, mais plus rien ne lui semble logique à présent.

Elle erre donc dans cette immensité blanche, son regard balayant l'horizon. Elle ne voit rien de particulier, pourtant elle reste sur ses gardes : elle a compris que des éléments du cauchemar peuvent apparaître soudainement, comme sortis de nulle part.

Ariane sent tout à coup une présence à ses côtés, et elle se retourne rapidement : il y a un homme, à environ trois mètres d'elle. Il est de dos, et pourtant elle le reconnaît.

« Papa ...? »

Sa voix est hésitante : qu'est-ce que son père vient faire dans le monde cauchemardesque ? Il se retourne lentement sans lui adresser la parole, et la jeune femme réprime un haut le cœur : d'horribles boutons blancs sont collés à la place de ses yeux, et ses lèvres sont affreusement cousues d'un épais fil noir. Il ne peut pas parler, mais peut-il la voir ? Question stupide, les boutons n'ont jamais été un organe visuel... Cependant, il semble savoir exactement où elle se trouve, et il lui fait face dans le plus grand des calmes.

Ariane devrait dire quelque chose, ou tenter d'aider son père, mais elle est comme tétanisée par cette vision d'horreur, déjà passablement à bout de nerfs après tout ce qu'elle a traversé dans ce rêve. Ils se font face sans parler, pendant un long moment. Comprenant qu'il ne pourrait rien pour elle, la jeune femme décide de continuer à avancer, laissant son père derrière elle. Après tout il n'est pas vraiment celui qui lui a donné la vie, juste une vue de son esprit.

La jeune femme finit par apercevoir, un peu plus loin, deux petites silhouettes. Là encore, ils lui tournent le dos mais elle ne peut réprimer ses larmes lorsqu'elle est assez proche pour les reconnaître : il s'agit de Léon et Antoine, ses deux petits frères qui sont encore des enfants. Ariane redoute plus que tout le moment où ils vont se tourner et lui faire face, mais ce qui devait arriver arriva : à sa venue, les deux petits pivotent et elle pousse un cri d'effroi en constatant qu'ils ont eu droit au même traitement que leur père. Ce qui était déjà effrayant sur un adulte l'est encore plus sur un enfant, et cette fois elle ne peut s'empêcher de vouloir les aider.

« Léon, Antoine, vous m'entendez ? Ne bougez pas mes petits anges, je vais vous aider. »

Sa voix est tremblante, pourtant elle rassemble son courage pour s'approcher de Léon et tenter de lui décoller les affreux boutons qu'il arbore en lieu et place de ses yeux. Ce sont de gros boutons blancs en plastique, identiques à ceux qu'elle a déjà vus tout à l'heure, et elle a beau essayer de les arracher, c'est peine perdue. Le petit garçon n'oppose aucune résistance, et ne semble pas souffrir lorsqu'elle tente d'enlever ces répugnants artifices.

Concernant la bouche cousue, Ariane est impuissante. Elle a beau essayer de tirer sur les fils pour voir s'ils s'enlèvent d'eux-mêmes, c'est peine perdue. Ses deux petits frères l'observent en silence, comme pour voir ce qu'elle va faire ensuite. Elle s'énerve de frustration, tirant de plus en plus fort : les fils finissent par céder, et Léon ouvre la bouche alors que l'intégralité de ses petites dents blanches tombe sur le sol, arrachant un hurlement à la jeune femme.

« Oh pardon, pardon Léon... »

Des larmes coulent sur ses joues, et son regard se pose sur Antoine : hors de question qu'elle lui réserve le même sort. Après tout, aussi traumatisant soit-il ce n'est qu'un cauchemar, et elle refuse de voir ses frères se décomposer sous ses yeux : elle doit avancer. Elle prend donc son courage à deux mains et continue sa route, laissant ses petits frères immobiles derrière elle.

Ariane marche, longtemps. Elle se dit que peut-être c'est la dernière partie de son rêve horrible, marcher sans fin, et ce ne serait pas pire que tout ce qu'elle a enduré jusqu'à présent. Elle finit par apercevoir une énième silhouette, toujours de dos, et un frisson glacé la traverse quand elle reconnaît sa mère. Elle n'a pas besoin qu'elle se retourne pour avoir une idée de ce qu'elle va voir sur son visage... Celle-ci finit quand même par se retourner, et Ariane pousse un cri de surprise.

Sa mère n'a ni boutons à la place des yeux, ni bouche cousue. Non, son visage est contracté en un horrible rictus furieux, comme si la raison l'avait désertée et qu'elle était entrée dans une rage destructrice. Ses traits sont figés ainsi, elle ne parle pas, seuls ses yeux suivent les mouvements de sa fille. Ariane se dit que sa mère doit être furieuse qu'elle ait laissé ses frères derrière elle tout à l'heure, aussi tente-t-elle de s'expliquer.

« Maman, je n'ai pas voulu les laisser, mais je ne pouvais plus rien faire pour eux, et... c'est un cauchemar, je vais me réveiller, mes frères sont en bonne santé ! »

Elle crie presque la fin de sa phrase, à bout de nerfs devant la face figée de sa mère.

Elle serait prête à tout pour fuir ce regard empli de rage, et peut-être même de haine.

 Ariane se remet à courir, apercevant une masse sombre au loin, espérant que ce lieu sera synonyme de rédemption.

PerdueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant