Chapitre 23

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Plongée dans le noir, Ariane entend le bruit de la porte qui grince sur ses gonds lorsque le molosse se jette contre elle. Inconsciemment, elle prend la main de Basile dans l'espoir d'obtenir un quelconque réconfort, aussi illusoire soit-il.

Çay est, ma dernière heure est arrivée... Je vais mourir.

Est-ce vraiment ainsi que son aventure s'achève ? La fillette n'a pas le loisir de réfléchir plus longtemps à son sort : la porte vole en éclats, laissant la voie libre à l'immense chien. Celui-ci ne perd pas une seconde, et se jette sur elle... La douleur, immense, la submerge, tandis qu'elle n'entend plus rien que les horribles bruits d'os brisés... ses os. La main de Basile n'est plus dans la sienne, elle ne le voit plus, d'ailleurs elle ne voit plus rien. Encore quelques secondes de souffrance, puis c'est le noir total.

Ariane ne ressent plus rien. Elle n'entend plus le chien, ni rien d'autre d'ailleurs. Elle est dans le noir total.

Est-ce que c'est ça... la mort ? Je suis morte ?

Elle a une pensée pour sa famille, elle les imagine pleurer sur sa tombe ; maman, papa, Léon et Antoine... Personne ne devrait avoir à vivre un drame pareil. Le pire, c'est qu'ils ne sauront jamais ce qui lui est vraiment arrivé. Elle ne pourra jamais leur raconter à quel point elle s'est battue, corps et âme, pour s'en sortir. Sa situation lui paraît dramatique...

Avant qu'elle rouvre les yeux. Ariane est allongée sur un lit, mais ce n'est pas celui de sa chambre. Elle se redresse, perplexe :n'est-elle pas morte déchiquetée par un chien il y a quelques minutes ? Par quel miracle s'en serait-elle sortie ?

Basile...Il a disparu. Peut-être a-t-il joué un rôle dans ma survie ?

Il semble posséder un tel pouvoir dans le monde cauchemardesque, que cette hypothèse lui semble tout à fait plausible. En se relevant, elle s'aperçoit avec soulagement qu'elle est à nouveau dans son propre corps, celui d'une jeune femme et pas d'une fillette de six ou sept ans. Cependant, le soulagement est de courte durée : elle ignore totalement où elle se trouve. La pièce dans laquelle elle se trouve, une chambre, est petite et impersonnelle, dénuée de toute décoration et du moindre confort. Son regard est attiré par un crucifix de taille moyenne au-dessus du lit, le seul ornement visible.

Ariane sort de la chambre, déterminée à découvrir où elle est arrivée. Elle pense pouvoir affirmer être toujours dans son cauchemar, puisque ce lieu lui est inconnu et qu'elle n'a a priori aucune raison d'être ici. La chambre débouche sur un couloir : elle voit au centre de la bâtisse un jardin avec un puits, tandis que le couloir entoure cet espace de verdure en formant un carré, ouvert sur le jardin. Ce genre d'architecture lui dit quelque chose, pourtant sur le moment elle n'arrive pas à déterminer de quoi il s'agit.

La jeune femme arpente le couloir : Basile était avec elle quand elle s'est faite attaquer par le chien. Il ne doit pas être loin, elle doit le retrouver, ne serait-ce que pour le remercier de lui avoir sauvé la vie une fois de plus. Le lieu est calme et semble désert, elle n'entend que la mélodie du chant des oiseaux dans le jardin central. Elle arrive à la hauteur d'une porte à sa gauche, qu'elle ouvre sans hésiter : elle pousse un cri d'étonnement en faisant irruption dans la chambre d'une femme, une nonne vu son accoutrement. Celle-ci a son habit relevé de façon à découvrir la peau de son dos, affreusement marqué par ce qui semble être des coups d'une sorte de martinet.

« On ne vous a jamais appris à toquer avant d'entrer dans une pièce, sœur Marie-Clémence ? »

La nonne s'adresse à Ariane de toute évidence, et celle-ci sent le rouge lui monter aux joues de honte.

« Je... Je suis désolée. Vous devez vous tromper de personne, je m'appelle Ariane. Qu'est-ce que vous avez fait à votre dos ? Est-ce que vous voulez que j'aille chercher de l'aide ? »

Son interlocutrice lui lance un regard mauvais.

« Je n'ai besoin d'aucune aide, c'est pour le Seigneur que j'expie mes pêchés. Quant à vous, je ne vous connais que trop bien, vous êtes dans ce monastère depuis des mois. Je vous remercie d'arrêter de vous moquer de moi de la sorte. »

La jeune femme reste muette de surprise. Elle la connaît depuis des mois ? C'est impossible... C'est encore son cauchemar qui lui joue des tours, voilà tout. Elle décide de ne pas insister, mais lui pose une dernière question avant de s'en aller.

« Est-ce que vous auriez vu par hasard un jeune homme ? Environ un mètre quatre-vingt, mince, cheveux noirs ? »

Et beau gosse en plus ? Il vaut mieux que je garde cette remarque pour moi, la nonne n'a pas l'air d'avoir envie de plaisanter...

La femme la regarde avec mépris et dédain.

« Un homme ? Que voulez-vous qu'un homme vienne faire ici ? Je vous rappelle que ce monastère est uniquement composé de femmes, il serait peut-être temps de cesser de m'importuner avec des questions qui n'ont aucun sens.

— Très bien, encore toutes mes excuses... Au revoir. »

Que pourrait-elle dire de plus ? Elle revoit en pensée ce corps mutilé, mais elle ne peut rien y faire.

Mûe par un instinct qu'elle ne saurait expliquer, elle se dirige vers le centre du monastère, où se trouve le puits.

« Saute. »

Cette voix, si grave... Celle de Basile, sans aucun doute. Elle se penche au-dessus du puits pour en évaluer la profondeur, et un frisson lui parcourt l'échine devant le vide abyssal qu'elle découvre.

« Saute. Saute. Saute.

— Très bien Basile... J'arrive. »

 La jeune femme enjambe le puits, avant de s'élancer dans le vide.

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