Chapitre 18

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La traversée ne dure qu'une fraction de seconde, aussi les sensations de picotement et de tension qu'Ariane ressent sont-elles brèves et indolores. Le lieu où elle atterrit est pour le moins déconcertant : chemin blanc parsemé de pétales de roses blanches, arche de fleurs blanches, chaises de la même couleur de part et d'autre du chemin avec quelques personnes assises aux premiers rangs... Il s'agit tout bonnement d'une cérémonie de mariage.

Qu'est-ce que mon esprit tordu a encore été inventer...

En vérité, Ariane ignore si toutes ces situations cauchemardesques viennent vraiment de son esprit ou d'une force extérieure. Elle doute que son esprit arrive à demeurer en rêve aussi longtemps par lui-même.

Lorsqu'elle fait irruption dans la cérémonie, tous les regards se tournent vers elle, sauf celui du marié qui fait face à l'arche. Les regards sont bienveillants, nullement étonnés, et elle remarque que ses vêtements ont changé : elle porte à présent une sublime robe de mariée blanche, ornée de tulle et de dentelle. Sa robe est longue, aussi la jeune femme fait-elle attention à ne pas marcher dessus ; détail qui lui paraît tout compte fait frivole, puisqu'elle n'a aucune idée de ce qu'elle peut bien faire ici. Pourtant, il semblerait que ce soit son mariage : elle est habillée pour la circonstance, et les invités ont l'air de trouver sa présence ici tout à fait normale. Alors, pourquoi le marié ne la regarde-t-il pas ? Avec qui est-elle censée se marier, d'ailleurs ; serait-ce James, ou bien le monde cauchemardesque va-t-il lui jouer des tours ?

C'est là qu'elle entend la musique, atrocement discordante. Elle ignore si ce bruit était là depuis le début, ou s'il vient de commencer. A vrai dire, c'est le seul élément qui lui rappelle qu'elle est dans un cauchemar ; tout le reste est très réaliste. En portant son attention sur les invités, elle s'aperçoit qu'elle les connaît presque tous : sa famille n'est pas présente, mais elle reconnaît certains de ses amis, voisins, ou amis de James, ce qui lui confirme l'identité du marié qui ne la regarde toujours pas.

Ariane s'avance vers l'arche d'une démarche calme et un peu hésitante. Va-t-elle vraiment se marier aujourd'hui ? Est-ce qu'elle acceptera ce lien ? Après tout, elle ne voit pas quelle conséquence pourrait avoir ce rêve sur sa vie réelle, elle ne risque pas grand chose... Néanmoins, se marier à son âge, avec James, ne lui semble pas être une idée judicieuse. C'est peut-être cruel à avouer, mais elle n'en a pas vraiment envie : ça lui semble être le début d'une vie monocorde, dépourvue de sens et de passion.

La teneur réelle de ses sentiments à l'égard de son petit ami lui reste inconnue ; à moins qu'elle cherche simplement à nier la vérité qu'elle ressent au plus profond de son cœur. Elle s'est mise en couple avec lui pour sa douceur, sa tendresse, sa personnalité attachante et son bon caractère ; pour leur complicité, aussi. Mais faire la différence entre une forte amitié et des sentiments amoureux n'est pas chose aisée, elle s'en rend compte à présent.

La jeune femme arrive finalement à hauteur de l'arche, à côté du marié. Elle s'immobilise, prend une grande inspiration et pivote vers la droite pour observer son fiancé, avant de pousser un cri d'horreur. Le visage aurait pu être celui de James, mais il est dans un état de décomposition avancée et grouille de petits vers blancs répugnants. Il se tourne vers elle, et quelques asticots tombent sur sa robe. Avant qu'elle pense à s'enfuir, tout tourbillonne autour d'elle, lui provoquant des vertiges qui la poussent à se tenir au premier objet qu'elle sent.

Le décor a complètement changé, l'ambiance aussi ; seule la musique dissonante reste identique. Plus de marié, d'arche ou de chemin blanc. Les invités, habillés en noir, pleurent presque tous. Ariane n'a pas bougé, elle se trouve debout devant le premier rang, et face à elle se trouve un grand cercueil sombre, ouvert.

Qui est mort ?

Elle ne voit plus James ; va-t-elle l'apercevoir allongé devant elle dans ce cercueil ? Hésitante, la jeune femme esquisse quelques pas pour se rapprocher, puis elle est prise de stupéfaction en observant l'intérieur de ce qui se trouve face à elle. Lapersonne décédée... C 'est elle ! Elle est morte, et ses amis la pleurent ! Elle se retourne vivement pour observer les personnes présentes, et remarque qu'aucun regard ne s'arrête sur elle, comme si elle était invisible.

« Je ne suis pas morte ! Regardez-moi, je suis là ! »

La jeune femme en arrive à crier, mais personne ne semble l'entendre. Un sentiment d'impuissance envahit Ariane : elle s'est battue corps et âme pour survivre dans le monde cauchemardesque, pour se réveiller et retrouver les siens, et tout ça pour se voir morte ! D'ailleurs, laquelle est la vraie Ariane, la morte ou la rêveuse ? Est-elle toujours dans un rêve, ou dans un espèce de monde parallèle où elle serait sensée cheminer et trouver la paix de l'esprit ?

Elle ne comprend plus rien, tout tangue autour d'elle, elle ferme les yeux et presse les mains sur ses oreilles pour ne plus entendre l'affreuse musique qui vient d'on ne sait où. Tous ses repères volent en éclat, et Ariane a l'impression d'avoir sombré pour de bon dans la folie.

 Lorsqu'elle rouvre les yeux, plus rien n'est comme avant.

PerdueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant