L'espion à la fille désenfantée

2: Sèvres

⚠️TW: désirs de violence. Maltraitancd infantile.

La première journée de l'automne 2021 est marquée par une fraicheur plus prononcée qu'en début de mois. Certes, les pluies de dimanche ont séché, mais il fait moins de 19 degrés sur les hauteurs de Sèvres, en cette fin de mardi après-midi. C'est à bord de sa Dacia Duster bordeaux, que George Chevalier débouche sur l'allée pentue du quartier pavillonnaire. George, épelé sans « s » à la fin. Le choix de ses parents afin d'honorer l'origine américaine de son grand-père martiniquais.

Après avoir fait demi-tour, George Chevalier se gare sur le côté gauche de la rue, prêt à redescendre vers la départementale. Véhicule en prise, frein à main bien serré, il regarde sa montre : 16h57.

Un coup d'œil de l'autre côté de la rue : la grande maison cubique blanche aux volets vert sombre est illuminée par le soleil redescendant. Garées derrière les grilles noires du portique, une Tesla blanche et une BMW grise. Les véhicules de son ex-femme et son nouveau compagnon. Devant la maison, trois voitures plus ou moins mal garées. Une Twingo mauve, certainement la voiture des services sociaux. Devant elle, une BMW blanche, probablement le véhicule de l'avocat de Per Gunnar. Devant la BM, une Citroën rouge, avec le logo Herz sur la vitre. Debout devant cette voiture de location, un vieux couple en doudounes légères, une bleu foncé, l'autre verte. Lui, les cheveux blancs, elle les cheveux blonds, et tous deux avec des nez suédois.

George reconnait Ulf et Britt-Marie Olsson, les parents de Per Gunnar. George ne les avait rencontrés que deux fois auparavant : à la naissance et au baptême de Lancelot. Il avait été alors surpris de voir comment ils traitaient leur fils Per Gunnar. Ils semblaient l'aduler comme un dieu, étaient toujours aux petits oignons pour lui, surtout sa mère. Per Gunnar, lui qui s'était plaint à Marie-Claire qu'il dormait jusqu'à ses douze ans enfermé dans une cabane en bois sans chauffage à l'extérieur du bâtiment principal de la ferme familiale. Si ses parents l'avaient mal traité quand il était gamin, ils semblaient le vénérer maintenant.

George prend son smartphone, déverrouille l'écran, puis démarre l'appli Ezviz. Jordi, le compagnon catalan de Marie-Claire a caché des caméras de surveillance dans la maison et lui a donné accès sur le cloud. Quelle est la situation à l'intérieur ? 

Dans le salon sont assis sur l'un des canapés Olga, l'ex-femme ukrainienne de George, toujours aussi élégante, et son nouveau compagnon, Édouard Arundel d'Esquincourt de Condé, vêtu comme son nom l'indique. La pédiatre et le constitutionnaliste sont silencieux. Tous deux portent des masques chirurgicaux bleu clair, pandémie oblige. Sur l'autre canapé, Per Gunnar et son avocat chuchotent en anglais. Il voudrait zoomer sur Per Gunnar, qui ne porte évidemment pas de masque - une étude suédoise ayant conclu que le port du masque pouvait accroître le risque de transmettre le covid  -  mais cela risquerait d'attirer l'attention de la caméra cachée dans une vitrine, placée discrètement entre divers bibelots. Il peut néanmoins dévisager le phénomène. Per Gunnar Olsson. Yeux clairs avec pupilles de tueur, cheveux et sourcils blonds, peau blanche, limite trop pâle, nez suédois, lunettes rectangulaires à cadre épais bleu foncé. Chemise claire et gilet bleu marine, chinos foncés et tennis blanches.  L'homme condamné par la justice suédoise pour violences sur Marie-Claire. L'homme qui a reçu la garde exclusive du petit Lancelot par cette même justice suédoise. L'homme, qui selon Lancelot, a essayé de tuer sa maman, l'a violenté, lui, et violé. L'homme qui a réussi à convaincre services sociaux et juges, suédois et français, qu'il est un pauvre ange de père privé d'accès à son fils à cause d'une mère psychopathe, menteuse et manipulatrice. Comment fait-il ?  Il ne travaille pourtant pas pour les services secrets suédois ! Il n'est que technicien informaticien sans diplôme universitaire. L'avocat, un être anonyme à la chevelure garnie et au masque blanc, semble s'impatienter. Dans un coin du salon, les bagages de Lancelot sont prêts : deux petites valises.