À l'entrée du village de Kliuchevoe, George décide de faire une pause. Il conduit son vélo dans la neige entre les arbres. À l'abris de l'obscurité, il appuie son vélo contre un tronc et pose sa sacoche sur la selle. Il s'agit de ne pas prendre froid. De son sac, il sort une petite doudoune et l'enfile sous sa Goretex. Il fait le point : il lui reste une petite bouteille et demie d'eau, trois Mars, deux Twix, une banane. Il n'a plus de montre, mais il doit être entre 21h et 22h. Un panneau plus haut indiquait Vyborg à 30 kilomètres. Il a dû mettre entre deux et trois heures depuis qu'il a quitté la gare. Et il a dû réussir à s'évader aux environs de 19h.
En Suède, il avait rencontré un couple de scientifiques qui s'était échappé de Russie en ralliant la Finlande à partir de Kliuchevoe pendant la Guerre Froide. Ils s'étaient évadés en kayak de mer. La Finlande n'est en effet qu'à 65 kilomètres par la mer. Or les courants marins du golfe de Finlande sont favorables à une évasion maritime: ils longent l'Estonie en direction de Saint-Pétersbourg avant de remonter vers Vyborg et de retourner à l'ouest vers la Finlande. Le couple avait mis 13 heures dans un kayak biplace. Et ce n'était pas des surentraînés : c'était des chercheurs en physique quantique !
Certes, ils s'étaient évadés en septembre, quand la météo est généralement plus favorable, mais George est un kayakiste raisonnablement expérimenté : il avait découvert le sport en Martinique, avait beaucoup pratiqué quand il était basé à Stockholm (il était allé à deux reprises à l'île d'Åland en kayak), et avait même fait du kayak au Svalbard.
Là, au moins, il n'y aura pas la menace plantigrade.
Le plan est maintenant de parcourir le village par la côte aussi furtivement que possible, et de trouver un hangar à kayak, soit au fond du jardin d'une villa côtière, soit dans un centre de location.
En marchant dans la neige, il risque de mouiller ses chaussettes. Autant prendre ses précautions. Il pose son sac au sol, s'assied dessus, ôte ses chaussures, retire ses chaussettes sèches, met au pied les chaussettes à moitié sèches qui étaient coincées sous sa ceinture au-dessus des cuisses, et met ses chaussettes quasiment sèches contre son slip. Au moins quand il sera dans le kayak, il pourra changer pour des chaussettes sèches et chaudes.
Une fois le changement de chaussettes opéré, il prend trois gorgées d'eau, se relève, enlève sa doudoune et ne garde que la Goretex. Il referme son sac et le met en bandoulière.
Au revoir, vélo.
Il se faufile entre les arbres dans l'obscurité, se dirige vers les maisons longeant la côte. Un signe sur la première maison indique la présence d'un chien méchant.
Saloperie.
Il continue et passe devant six maisons avant de tomber sur une maison plongée dans l'obscurité. Il se glisse silencieusement au-dessus de la clôture et rase la haie jusqu'au fond du jardin donnant sur la côte. Là, une petite cabane dont la porte est verrouillée par une chaîne avec un cadenas. Il sort le cric du sac, enroule la chaine au-dessus, fait tourner la manivelle, et crac, le voilà dans la cabane.
À l'intérieur, il fait sombre. Il tâte avec ses mains : des bodyboards, trois canots, des Canadiennes, des gilets de sauvetage, quelques combinaisons humides, et une boîte à outils.
Oui, mais non.
Traverser la Baltique à bord d'une Canadienne en hiver est non seulement de la folie, mais aussi de la connerie.
Il inspecte la boîte à outils et décide de prendre une pince coupante, un marteau et trois tournevis. Ça peut toujours servir. Il les place dans son sac. Une combinaison humide peut aussi ne pas être inutile. Il en prend une à sa taille et l'enroule autour de son sac.
Il sort de la cabane, referme la porte : il neige. Tant mieux, cela couvrira ses traces. La probabilité de rencontrer quiconque à cette heure se réduit également.
Il saute la haie et atterrit dans le jardin de la maison voisine. Il explore la cabane de stockage : un zodiac à moteur. Tentant, mais pas assez discret. Surtout, il n'y a probablement pas assez d'essence pour couvrir 70km. Ne jamais entreprendre une traversée sur embarcation non rigide en hiver. Les pauvres migrants qui tentent leur chance dans la Manche pour rallier l'Angleterre le découvrent à leurs dépens.
En revanche, ce voisin a deux combinaisons sèches : ce type de combinaison dans lequel on entre tout habillé. Bien mieux qu'une combinaison humide. Il prend la plus petite, qui est quand même trop grande pour lui. Il la plie en trois et la passe au-dessus de ses épaules. Il saute la haie suivante, et passe dans la propriété d'à côté. Là, pas de cabane en bout de jardin. Tant pis, il glisse sur la haie suivante et aperçoit une cabane de rangement dans ce nouveau jardin. Malheureusement, un cadenas qu'il n'arrive pas à faire sauter.
Saloperie.
C'est à sa treizième villa qu'il trouve des kayaks de mer. Quatre kayaks de mer monoplace rangés dans une petite cabane. L'un d'entre eux est bleu marine, c'est-à-dire invisible dans la nuit. Parfait.
Il a perdu la notion du temps. Il est peut-être minuit passé. Toutes les lumières de la villa sont éteintes.
Dans la cabane, il s'assoit, change ses chaussettes, enfile la combinaison sèche, ouvre son sac en cuir et met deux Mars dans la poche de poitrine de sa combinaison sèche, place les deux bouteilles d'eau sous le filet devant le poste de pilotage du kayak, ferme sa sacoche et la place dans le compartiment étanche du kayak.
Il regarde les gilets de sauvetage : tous de couleurs criantes. Peu importe, une combinaison sèche flotte, pas besoin de gilet. Il enfile une jupe de kayak violette qu'il serre autour de la taille avec l'élastique.
Un coup d'œil hors de la cabane : personne. Il met une pagaie sur le kayak, l'agrippe à deux mains et le pose devant la cabane. Il referme la porte. On est dimanche soir en hiver. La probabilité que le propriétaire inspecte sa cabane à kayak avant le week-end suivant est quasiment nulle. Il est même probable qu'il ne se rende pas compte du vol avant avril. En ce qui concerne George, du moment que le propriétaire ne donne pas l'alerte avant mardi matin, c'est bon.
La mer est à 100 m. Il marche furtivement en portant le kayak à deux mains. Sur la gauche, un petit ponton. Après avoir posé la pagaie sur le ponton, il met délicatement le kayak à la mer, et le tenant toujours d'une main, saute dans le cockpit. Il attache la jupe étanche tout autour du poste de pilotage, prend sa pagaie laissée sur le ponton, se dégage du quai et s'élance dans la nuit.
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L'espion à la fille désenfantée
Mystery / ThrillerQu'ont Hitler, Staline et Trump en commun ? Ils souffrent de perversion narcissique. Un trouble de personnalité bien décortiqué par la psychiatrie française. Séducteurs hors-pairs, excellents menteurs, dénués d'empathie, ils trouvent leur raison d'ê...