37: Saint-Pétersbourg

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Si l'on fait abstraction du roulage, le temps de vol Moscou-Saint-Pétersbourg dépasse à peine une heure. L'occasion tout de fois pour les passagers de percer la couche nuageuse et de profiter des rayons du soleil.

Alors que l'Airbus d'Aeroflot amorce sa descente, George a un bon pressentiment. À 15h45, ils seront chacun dans leur taxi. À 16h30, ils seront à la Gare de Finlande. À 17h00, dans le train d'Helsinki. À 18h45, ils passeront la frontière finlandaise. À 19h00 heure russe, c'est-à-dire 18h00 heure finlandaise, ils changeront de train juste derrière la frontière : L'écart des rails n'est pas le même en Finlande et en Russie, afin de compliquer une éventuelle invasion russe. Au même moment, quand leur arrivée sur territoire finlandais est confirmée, Grand Manitou envoi un jet privé pour Helsinki. À 22h00, heure finlandaise, c'est-à-dire 21h00 heure de Paris, George, Natacha et les enfants montent à bord du jet privé à l'aéroport d'Helsinki, avec un plan de vol pour Nice. Alors qu'il approche de la côte méditerranéenne, le jet signale des ennuis techniques et se pose sur la base militaire d'Orange aux environs de minuit et demi. Les accueillent sur la base : la psy Jeanne-Luce Piquard, Grand Manitou et quelques baby-sitters du service action. Pendant ce temps, Katerina, dont le vol Swiss Air n'a pas été annulé, arrive à 21h30 à Zurich et monte à 22h15 dans un jet privé pour Nice, d'où elle doit prendre un hélicoptère pour Monte Carlo. À 23h30 à Nice, elle est interceptée par la police au frontière qui lui demande de la suivre pour un contrôle de routine. Elle est priée de suivre un agent en civil dans un hélicoptère qui lui promet de la déposer à Monaco. Mais c'est à la base militaire d'Orange qu'elle atterrit et quelle n'est pas sa surprise d'être accueillie par sa sœur Natacha et ses enfants ! Un court instant plus tard, les voilà à nouveau dans le jet privé en direction de Saint-Martin dans les Antilles française. Arrivée prévue dans une villa sécurisée à trois heures du matin, heure locale, c'est-à-dire 8 heures du matin, heures de Paris. Une longue fin de journée en perspective, mais suivie d'un repos bien mérité auprès des eaux chaudes des Caraïbes.

À Saint-Pétersbourg, ils ont droit à un atterrissage 'virile' comme diraient les pilotes russes. Après quoi, l'Airbus roule péniblement en direction du parking dans le mélange de pluie et neige recouvrant le tarmac. George réactive son téléphone russe, et alors que l'avion attend l'arrivée des camions-passerelle, un appel télégramme le sort de ses rêves. C'est Alessia. Elle chuchote : « Un camion de police à l'approche de l'appareil. »

Saloperie.

Alors que les camions-passerelle sont arrimés à l'avant et à l'arrière de l'appareil, le chef de cabine invite les passagers à rester assis.

Deux minutes plus tard, la porte avant de l'appareil s'ouvre.

Cinq policiers russes font irruption à bord de la cabine. Le premier tient ce qui ressemble à un manifeste de passagers et progresse lentement dans l'allée.

Il dépasse Alessia, assise en classe affaires, s'approche de Natacha, s'arrête au niveau de Natacha et des enfants et commence à parler.

Saloperie.

De son siège 20C, George a du mal à saisir ce qui se passe au niveau de la rangée 14.

Finalement, un passager se lève. C'est le passager assis juste derrière Natacha. Costume gris sombre et cravate Bordeaux. On lui demande d'enlever son masque covid. Il s'exécute. Un des policiers lui met aussitôt les menottes.

L'homme d'affaires est escorté par les policiers hors de la cabine.

Ouf.

Les policiers repartis, le débarquement se passe normalement. George suit le flux de passagers sur le tarmac, puis dans le terminal. Il marche deux douzaines de passagers derrières Natacha et les enfants, facilement repérables.

Aucun bagage en soute, les voilà tous dans le hall d'arrivée avec leurs chauffeurs de taxi respectifs : il est 16h05.

L'aéroport de Pulkovo, au sud de Saint Petersburg, n'est qu'à une vingtaine de kilomètres du centre-ville. Le chauffeur du taxi de George aurait pu être un conducteur de rallye, et il slalome entre les automobilistes avec sa Dacia Logan. À 16h32 et après avoir payé 200 euros (le chauffeur préfère être payé en euros plutôt qu'en roubles), George est déposé à la gare de Finlande. Il se précipite vers la première boutique pour acheter à manger pour les enfants et Natacha: dix sandwichs, des bananes, des chips, des barres de chocolat, des Kinder Surprise. Là aussi, puisqu'il dit être Finlandais, on lui demande de payer en euro. Heureusement qu'Alessia lui avait donné un petit millier d'euros en liquide.

C'est bon, ils ne mourront pas de faim, même si le train est bloqué dans la neige. En attendant, aucun signe de Natacha. Il appelle Alessia sur Telegram : « Tu les as vus? »

« Pas encore. Je suis devant le parking à Taxi. J'ajoute Hubert à la conversation. Hubert, tu as la position du portable russe de Natacha ? »

La voix d'Hubert craquèle dans les écouteurs de George : « Elle a l'air bloquée sur les berges du canal Obvodniy, à trois kilomètres. »

Saloperie.

Le train part dans 15minutes.

Il se décide à appeler Natacha : « Alles gut ?

Nein, lui répond-elle. Il y a des embouteillages. Le chauffeur pourrait facilement les contourner, mais il veut être payé en euro. Je n'ai que des roubles.

— Dis-lui : 300 euros s'il fait la distance en 5 minutes.»

George se dirige vers le parking des taxis et intime à Alessia, qui se déplace difficilement sur ses béquilles, de trouver le wagon du train.

À 16h55, le taxi de Natacha s'arrête. George se présente à la vitre du chauffeur, lui donne six billets de cinquante euros, ouvre la portière arrière gauche pour les enfants, ouvre le coffre, agrippe la valise de Natacha dans la main droite : bistro, bistro, bistro. Vite, vite, vite

La petite troupe s'élance à travers la foule de passagers en direction du quai du train d'Helsinki. George, d'abord, avec son sac de cuir en bandoulière, son sac de victuailles dans la main gauche et la valise de Natacha dans la main droite. Puis, Valerya et Yuri, chacun avec un petit sac à dos, et enfin Natacha tenant la main de Volodia.

Bistro, bistro, bistro

Bistro, une des rares contributions russes à la langue française. Après la débâcle de Napoléon en Russie puis la bataille de Paris de mars 1814, les troupes russes avaient occupé notre capitale, campant littéralement sur le Champ de Mars et les Champs Elysées pendant plus de six semaines. Suffisamment longtemps pour que le fast-food Parisien de l'époque prenne le nom de bistro, ce qui signifie 'vite' en russe. Pas suffisamment longtemps pour que les Parisiens, naturellement mauvais en langues étrangères, n'adoptent la bonne prononciation : buistrå.

Enfin, le quai. La voiture numéro sept.

Buistrå, buistrå, buistrå.

Un employé de train leur fait signe de se dépêcher.

Ils montent à bord.

16h59.

Ils ne se sont pas encore installés dans leur carré de sièges que le train démarre déjà.

Finlande nous voilà !


L'espion à la fille désenfantéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant