10 : Vilnius

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Le lendemain matin, c'est en avion qu'il rallie Vilnius, capitale de la Lituanie et dernière étape de son tour. Greta Thunberg n'approuverait pas, ni Jean-Marc Jancovici, mais une guerre est sur le point d'éclater, alors au diable les atermoiements écologiques.

Alors qu'il entre dans le taxi à l'aéroport de Vilnius, son smartphone privé reçoit un appel d'un numéro commençant par +46. Qui peut l'appeler de Suède ? « Allo, papa ? » C'est Marie-Claire.

En prison, on ne peut pas recevoir de coups de fil, seulement des visites, mais elle peut appeler avec des crédits qu'elle doit recharger. Les prisons suédoises ne sont absolument pas confortables. Elle partage une cellule avec une autre détenue. Pas d'intimité pour utiliser les toilettes, ce n'est pas facile. La Suède est un pays de troglodytes. Dans sa prison, il y a trois autres femmes qui ont aussi essayé de protéger leurs enfants d'un père présumé incestueux. Toutes les trois ont été considérées comme folles. Deux sont blondes aux yeux bleus, et une originaire d'Asie. C'est une véritable chasse aux sorcières !

Il y a même cette autre femme en prison. Une ancienne juge d'un arrondissement voisin de Norrmalm. Elle suspectait son mari d'inceste. Mais comme son mari est avocat, interdit de le mettre sur écoute ou d'examiner son téléphone portable et son ordinateur. Le risque serait naturellement trop élevé de léser la confidentialité avocat-client. Les enfants de la juge sont placés d'office chez le père, alors que l'école a émis des signalements le concernant. La mère se voit interdite de voir ses enfants au motif qu'elle les traumatise psychologiquement. Elle n'en peut plus, commandite un tueur à gages. Celui-ci rate. Elle se fait prendre. Condamnée à 14 ans de prison. Sa défense comme quoi le père est un abuseur et un incestueux est complètement balayée d'un revers de main, et même pas inscrite dans le protocole du procès. J'ai lu la sentence : il y est simplement relevé que la défense de cette femme n'est pas pertinente, et donc ils ne la consignent même pas. Le plus bizarre, c'est qu'un des agents des services sociaux responsables du placement de ses enfants chez le père est maintenant le chef des agents qui ont placé Lancelot chez Per Gunnar.

A-t-elle des nouvelles de Lancelot ?

Non, Per Gunnar refuse ses appels. George devrait essayer d'appeler Lancelot plus souvent. D'après Jordi, qui a pu être en contact, Lancelot a déjà perdu deux kilos. Il ne pèse que 20 kilos à 6 ans et demi, c'est un maigrichon. Apparemment, il ne mange pas le soir. Per Gunnar ne lui donne pas à manger. Il essaie de manger au maximum à l'école, où la nourriture est gratuite, mais il a faim. S'il te plaît, papa, essaie d'organiser des livraisons de nourriture, avec Foodora ou d'autres services. Lancelot se fait violenter et violer, on ne peut pas le laisser mourir de faim.

George promet de faire ce qu'il peut. Toutefois, il ne peut s'empêcher.

« Désolé de t'embêter avec ça, mais toi qui connais bien Per Gunnar. S'il était président de la Russie, penses-tu qu'il pourrait envahir l'Ukraine de ta maman ? Voire balancer une bombe nucléaire sur l'Ukraine ?

— Mais quelle drôle de question ! Ma maman, je m'en fous, elle m'a laissé, et surtout a laissé tomber Lancelot.

— Parce qu'elle a laissé les services sociaux et Per Gunnar le prendre en septembre ?

— Pas seulement.

— Pas seulement ?

— Par exemple, quand Lancelot avait deux ans, à Courseulles-sur-Mer, elle a vu Per Gunnar lui donner un coup de pied dans le ventre, mais elle ne m'a rien dit. Elle me l'a raconté qu'en mai dernier, et même là, elle n'a pas voulu témoigner.

— Vraiment ?

— Et après que Per Gunnar m'a agressé dans l'appartement. J'avais un vague souvenir qu'il avait essayé de m'étrangler, mais c'est elle qui m'a dit de ne surtout pas le dire, car sinon Per Gunnar aurait pu se faire condamner pour tentative de meurtre, et on ne fait pas condamner le père de son enfant pour ça, selon elle !

— Tu déconnes ?

— Non, elle voulait même que je reste avec Per Gunnar après l'agression.

— Merde, je suis désolé, je ne savais pas.

— Parce que tu n'es jamais présent, papa. Mais j'aurais dû te contacter, plutôt que maman.

— Je suis désolé. »

George ne sait pas quoi dire. Finalement, Marie-Claire rompt le silence : « Tu me demandais quoi ? Si le Président russe est capable d'envahir l'Ukraine ou d'y balancer une bombe nucléaire ?

— Oui. En Ukraine, tu as tout de même tes cousins Serguei et Lev.

— Bon, tu veux savoir si je pense que le Tsar est aussi psychopathe que Per Gunnar ? Oui, je le pense. Regarde, il est partout l'agresseur, mais se fait passer pour la victime. Alors comment pense un mec comme Per Gunnar ? Il fera simplement tout et l'inimaginable à partir du moment où il est sûr de pouvoir s'en sortir à bon compte. Donc pour répondre à ta question, le Tsar envahira l'Ukraine, ou balancera une bombe nucléaire dessus si et seulement s'il pense pouvoir s'en sortir à bon compte. Tu montres tes faiblesses, il attaque. Tu lui fais comprendre que s'il tente le coup, il s'en tirera à très mauvais compte, il recule. »

Il est 11h30 lorsque George rencontre Andrius, son contact lituanien. Le rendez-vous se passe dans un cabinet d'avocat, vide ce jour-là, mais dont Andrius connait bien le partenaire principal. Les Lituaniens sont également convaincus que la Russie va attaquer l'Ukraine, et craignent aussi un précédent, prélude à une invasion russe des pays baltes. Sinon, rien de vraiment nouveau pour George. Si, Andrius assure que le Rafale est le meilleur chasseur du monde, auquel George ne peut qu'acquiescer. La Lituanie n'a pas d'armée de l'air, et c'est les pays membres de l'OTAN qui assurent une police de l'air tournante, les escadrons de chasses français protégeant le ciel balte plusieurs mois par an. Eh bien selon Andrius, si les Français pouvaient tripler leur flotte de chasseurs, il dormirait mieux. Et d'ailleurs, si les Français donnaient 50 Rafales à l'Ukraine, les Russes réfléchiraient à deux fois avant d'envahir leur voisin.

George explique poliment que ce n'est pas vraiment de son ressort avant de prendre congé de sa source.

Il est vingt-deux heures passées quand George émerge dans le terminal 1 de l'aéroport Charles de Gaulle. À son grand désarroi, toutes les boulangeries sont fermées. Il n'a mangé que quatre Twix King Size aujourd'hui et une bonne baguette croustillante avec des rillettes d'oie ne lui aurait pas fait de mal. Tant pis, ça sera pour demain.

Il marche d'un pas décidé vers le parking souterrain, consulte brièvement son téléphone crypté pour vérifier où la voiture est garée. Cinquième rangée sur la droite. La Clio grise est garée entre une Audi et une BMW. George pianote une série de chiffres et dièse sur son téléphone crypté. Les clignotants s'allument brièvement, les portes se déverrouillent. George ouvre discrètement le coffre : sa valise est bien là. Arrivée la veille par la valise diplomatique. Et maintenant dans une voiture à disposition à l'aéroport ! Ça aide d'avoir fait son service militaire avec Grand Manitou ! Il ouvre la valise et y presse son sac à dos Northface. Il monte à la place du conducteur et pose sa sacoche en cuir sur le siège passager. Il ouvre la boîte à gants, pianote sur un boîtier, en ressort des clés de contact et la carte de crédit prépayée pour payer le parking et faire le plein d'essence si besoin. Il démarre la voiture et met le cap sur Paris.

Il laisse la Clio au parking souterrain de Gare de Lyon. Un instant plus tard, le voilà avec sa valise et sa sacoche en bandoulière dans la ligne 14 du métro, en direction des Olympiades.

Arrivé chez lui, il constate sombrement que le frigo est vide. Tant pis, il mange quelques biscuits Lu avant de se coucher.

L'espion à la fille désenfantéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant