30 : Barentsburg

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Alors que les motoneiges progressent en file indienne dans la nuit arctique en direction du Barentsburg Hotel, George, qui ferme la marche, a l'impression de se retrouver en Union soviétique. Le contraste entre Barentsburg et Longyearbyen est saisissant. Alors que le lotissement norvégien de Longyearbyen est fait de petites maisons en bois coloré, jaune, rouge, bleu ou vert, Barentsburg possède une grosse succession d'ancien bâtiments bétonnés criant « Gloire à Lénine ». Sur leur gauche, derrière les bâtiments, le fjord. Sur leur droite, un monticule vers un plateau en dessous duquel les Russes extraient leur charbon.

Après avoir garé les motoneiges, sécurisé la logistique, retiré sa combinaison de motoneige trop grande et s'être installé dans sa chambre d'hôtel, George décide d'inspecter les environs.

Dehors, les étudiants de l'UNIS errent en quête d'un pub ouvert. Ils n'ont pas vu d'ours polaires au cours de cette petite expédition et ils comptent bien noyer leur peur du réchauffement climatique dans de la bière, du whiskey ou de la vodka. Les habitants russes les regardent d'un air méfiant. Alors que les étudiants internationaux de l'UNIS portent des surpantalons épais et des manteaux bien rembourrés, George note que des Russes chevauchent leur motoneige en jeans. Aussi hardcore qu'en Sibérie, et pourtant ils n'ont pas de graisse de phoque sur leurs maigres cuisses de lévriers.

George avance jusqu'à la petite église orthodoxe en bois, et regarde sur la droite. Là, sur le flanc du monticule se dresse le consulat général de Russie de Barentsburg. Une énorme bâtisse en brique rouge entourée de grilles en acier trempé et où flotte le drapeau tricolore russe, éclairée par un projecteur. Dans le paysage svalbardien, cet édifice fait certainement figure d'anomalie. Un bâtiment dont les briques hurlent crainte et puissance là où le fjord et les montagnes environnantes chuchotent paix et tranquillité. Une aberration architecturale, bref la Russie impériale dans toute sa splendeur.

***

Il est 9h07 ce vendredi 11 février lorsque George sonne à la grille du consulat russe.

« Kto ty? Chto ty khochesh? » Qui est-ce ? Qu'est-ce qu'il veut?

George répond en russe : « Ya George Chevalier. Ya frantsuz. Ya podal dokumenty na vizu v Rossiyu. Ya otpravil zayavku onlayn v proshlyy ponedel'nik. U menya naznachena vstrecha ». Un Français qui a postulé en ligne pour un visa et qui se trouve au Svalbard. Il a rendez-vous.

La grille s'ouvre. Un garde l'escorte jusqu'à l'entrée du consulat. George enfile un masque FFP2 : Le covid circule activement chez les Russes et il ne compte pas tomber malade maintenant. C'est suffisant avec Alessia actuellement covidée.

George est impressionné par la taille de l'édifice. À Stockholm, le consulat de l'ambassade de France tient sur un étage pour une dizaine de milliers de Français établis en Suède. Ici, pour 600 Russes, une énorme bâtisse de quatre étages. Il faut dire qu'ils n'ont pas que les services consulaires, mais également des antennes plus ou moins discrètes de leurs services de renseignements.

Il est introduit dans un large bureau et on lui désigne une petite chaise devant un énorme pupitre en acajou. Accroché au mur en face de lui, un large portrait du président russe. Devant, attablés au bureau et dans deux confortables fauteuils en cuir, deux hommes en costume et cravate. L'un porte un masque chirurgical, l'autre non.

Le sans-masque se présente en anglais : il est le vice-consul, et pour cette occasion spéciale, il est accompagné du lieutenant-colonel Igorovitch du FSB.

George réplique en russe : « Quel honneur de rencontrer les dignitaires du consulat ! En tant que géologue spécialisé dans le permafrost, j'ai l'habitude en Europe de ne pas être mieux considéré que de la fiente de canard. En Russie, au moins, mon travail est pris au sérieux. »

L'espion à la fille désenfantéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant