38 : Oblast de Leningrad

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Alors que le train roule en direction de la Carélie à travers l'oblast de Leningrad, George regarde les enfants manger. Ils ont ôté leurs masques. La première classe est un beau foutoir : tous les sièges sont occupés, avec souvent, un enfant, voire deux, sur les genoux d'un adulte. Alessia, malgré ses béquilles, n'a pas obtenu de siège. Des passagers ont cependant arrangé à côté de la porte un système de valises sur lequel elle peut s'asseoir. À côté d'elle, une demi-douzaine d'autres passagers qui n'ont pu obtenir de places assises.

Le wagon est une tour de Babel. On y parle allemand, anglais, finnois, suédois. Parmi les passagers, un bon tiers d'Occidentaux, et de nombreux Russes pas assez va-t-en-guerre pour vouloir rester dans leur mère patrie.

Tant mieux, ils ne risquent pas d'attirer l'attention. Ils n'ont pas l'air plus bizarres que le passager lambda de ce wagon.

Par la fenêtre, il observe le paysage enneigé. Jusqu'à l'hiver 1940, ces terres étaient finlandaises, mais trop proches de Leningrad pour le bon plaisir de Staline. Celui-ci avait demandé que la Finlande cède cette partie de la Carélie. C'était la région finlandaise la plus industrialisée et la petite république avait naturellement refusé. Staline avait attaqué avec 18 divisions. La petite république avait tenu tant bien que mal pendant plusieurs mois. Isolée et à court de munitions, la Norvège interdisant aux Français et aux Britanniques de faire transiter des armes par son territoire, la petite république finlandaise avait dû capituler, et s'était vue amputée de la Carélie du Sud.

Jusqu'à présent, tout va bien. Le voyage jusqu'à la frontière devrait se passer sans histoire. George retire son masque covid et mord dans un sandwich au poulet avec du pain de mie trop sec. On est en Russie. Encore une heure à tenir. Demain matin, il se réveillera dans les Caraïbes françaises et prendra un bon pain au chocolat au petit-déjeuner, sur une terrasse avec vue sur la mer.

« Yuriy, ty li eto? »

C'était un enfant roux qui avait parlé. Il s'adresse au cadet de Natacha.

Merde.

« Privet Aleksander, vy tozhe yedete v otpusk ? My yedem v stranu papy, no u nas byli problemy s samoletom. »

Saloperie.

Ce petit roux d'Aleksander connait Youri. Natacha donne un coup d'œil inquiet à George assis à côté d'elle. George pianote sur Telegram : Donne-moi un compte Netflix russe pour mon smartphone russe. Maintenant.

Hubert lui répond : Tu as de la chance. Netflix n'a pas encore quitté la Russie. Je te donne ça dans deux minutes.

Huit minutes plus tard, George tend son Samsung russe à Yuri : « Netflix »

Le cadet de Natacha prend le smartphone après avoir donné du spacibå. Il invite Aleksander à partager son siège. Les voilà maintenant à regarder Ninjago. Le petit Volodia grimpe sur les genoux de Youri.

Valerya se plaint de ne pas avoir son smartphone. Elle l'a oublié à la maison à Moscou. George emprunte le téléphone anonyme de Natacha, installe Netflix dessus et le tend à Valerya.

À la suggestion de George, Natacha invite tous les enfants, qui ont maintenant fini de manger, à remettre leurs masques covid.

Menace maitrisée.


L'espion à la fille désenfantéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant