Chapitre 10

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Une gigantesque mare de sang truffée de morceaux de cadavres entourait Danaé lorsqu'elle s'éveilla enfin en sursaut.

Était-ce là un simple rêve ou un des fragments de ses souvenirs passés ?

Subitement, elle se remémora cette scène, extrêmement semblable à ces lambeaux de songes dont elle avait l'habitude, que ce cambion lui avait fait revivre. Le sang, ces êtres agonisants au bout de leurs douleurs et les nombreux supplices qu'elle leur avait infligés. Fort heureusement, tout cela n'avait été que très bref en comparaison à la durée des cauchemars qui avaient torturé ses compagnons.

Mais, contrairement aux souvenirs qui lui revenaient de temps à autre en tête, les images que lui avait imposées cette terrible bête étaient beaucoup plus nettes, comme si elle s'y était vraiment trouvée, le temps de quelques instants...

Prisonnière de son propre corps et des sensations qui lui avaient empoignées les entrailles, partagée entre cette euphorie meurtrière et la répugnance, elle avait embrassé ses pulsions sans même s'efforcer de les combattre. C'est que le désir de satisfaire son plaisir malsain à faire souffrir des âmes innocentes semblait à cet instant être le seul moteur capable de contrôler ses agirs. Comme si cette part d'elle qu'elle tentait continuellement de refouler avait emmuré son empathie dans une cage de verre. En ce cas, tout ce qu'elle avait pu faire, c'est de hurler son effroi, prise au piège dans l'un des recoins de son cerveau, sans que personne ne l'entende.

Mais le pire dans tout ça, c'était que cette expérience avait donné la sensation à Danaé que cette partie d'elle-même qui avait pris le dessus sur sa bonté était vraiment réelle, c'est-à-dire n'était pas le fait d'une malédiction quelconque, et constituait assurément l'un des traits de sa personnalité que son amnésie avait enfouie.

Qui avait-elle été avant de perdre la mémoire de ses déboires passés ?

Soudainement, le corps d'Astarion bougea entre ses bras, mais, contrairement à ce qu'elle avait tout d'abord pensé, il ne s'éveilla pas.

Elle se mit à lui caresser les cheveux. Son sommeil semblait beaucoup plus profond qu'à l'habitude, comme s'il n'avait pas joui d'une nuit réparatrice depuis plusieurs jours.

Astarion... de tous ses camarades de voyage, c'était là celui duquel se dégageait la peine la plus incommensurable. Si l'expression de désarroi du visage de l'homme au moment où elle s'était approchée de son corps au sol lui avait tout de suite indiqué son supplice, c'est sa grande détresse, lorsqu'elle l'avait éveillé, qui avait le plus marqué Danaé. Un affreux mélange de panique, de chagrin et de souffrance ; le même ressenti qu'elle avait elle-même imposé aux victimes de son propre rêve...

Et rien ne paraissait s'être amélioré par la suite. Toute la soirée, Astarion avait été soit absent, soit mélancolique, lui qui, en temps normal, semblait si bien cacher ses états d'âme...

Sans doute avait-il dû subir à nouveau l'une des nombreuses punitions que son maître avait eu coutume de lui infliger ? Et bien que Danaé ne pouvait pas statuer avec certitude sur le genre de tortures qu'il avait re-vécu, elle sentait que le mal-être de l'elfe pâle excédait de loin celui qu'il avait habitude de traîner comme fardeau.

Mais, comme elle connaissait Astarion, fier et soucieux de l'image qu'il dégageait, elle savait bien qu'il n'était pas de son point de vue à son avantage que lui exposer ses tourments.

Mais, tout cela, elle était prête à l'accepter. Malgré le fait qu'elle savait que le vampire n'oserait pas lui partager l'ampleur des souvenirs qui l'avaient accablé, Danaé était néanmoins déterminée à lui offrir son réconfort. De toute façon, il serait égoïste de sa part d'attendre autre chose de lui : les risques que cela le replonge dans son cauchemar étaient trop élevés.

UN LONG ET DIFFICILE CHEMIN POUR SORTIR DE L'ENFER.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant