Chapitre 8 : Chloramine

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Maëlys se souvenait encore de la soirée où Monsieur Dutaigne l'avait raccompagné chez elle et la proposition qu'elle lui avait faite de prendre un verre. Depuis, elle attendait impatiemment la prochaine séance pour lui reparler, car elle craignait lui avoir fait peur.

Elle se dit que comme d'habitude Monsieur Dutaigne serait là avec un peu d'avance à attendre dans le couloir. Mais il n'en était rien ... ...

Tant pis je lui parlerais à la fin du cours, se dit Maëlys. Elle rejoignit Élise dehors qui était en train de discuter avec Victor en train de fumer.

- Re ! dit Maëlys

- Le prof n'est toujours pas arrivé demanda Victor.

- Non.

- Cool dit Victor je vais pouvoir terminer ma clope tranquille.

Cependant, l'heure du cours arrivait, mais toujours aucune trace de Monsieur Dutaigne. Maëlys s'inquiétait.

Si Gaëtan n'était pas encore arrivé, c'est qu'il était encore au téléphone avec sa directrice de thèse. Il s'était rendu compte qu'il ne pourrait procéder à l'ensemble des corrections sur sa thèse dans les délais. Il tentait de négocier un délai supplémentaire, mais il se heurtait à un mur. Sa directrice de thèse ne voulait rien entendre, elle ne signerait pas de réinscription, il était temps que sa thèse se termine. Gaëtan ne comprenait pas la réaction de Mme Lecrise, elle qui était très compréhensive en temps normal. Gaëtan savait qu'il déposait sa thèse en l'état, il se ferait allumer par son jury et n'obtiendrait jamais la qualification pour devenir enseignant-chercheur. En gros, il aurait travaillé pendant plus de quatre ans pour rien ! Et cela lui minait le moral, il commençait à avoir des idées noires.

Il arriva dans sa salle de cours, le teint blême et il fit l'appel d'une voix chevrotante, se retenant de pleurer.

Maëlys avait remarqué immédiatement que quelque chose n'allait pas. Elle voulait lui demander "ça va Monsieur", mais elle n'osait pas.

Gaëtan rendit les séances de la semaine dernière. Il enchaina avec sa correction. Là aussi, Maëlys vit tout de suite qu'il n'avait pas la même énergie que d'habitude. Cela l'inquiétait. Elle était aussi énervée, car aucun autre étudiant ne semblait être perturbé.

- Ça va lui demanda Elise. Tu as l'air énervé.

- Bah tu trouves pas que le prof est bizarre aujourd'hui.

- Ben il a l'air fatigué c'est tout. En même temps vu la séance d'aujourd'hui on peut comprendre qu'il n'est pas envie de faire de l'humour.

- Ouais tu as sans doute raison ...

En réalité Maëlys n'y croyait pas du tout. Elle sentait que quelque chose n'allait pas. Elle n'attendait qu'une seule chose, la fin du cours pour pouvoir lui parler.

- Je vais rentrer en bus ce soir dit-elle à Élise.

- Ah ok dit Élise étonnée. Je pensais que tu allais assister à mon entrainement avec Hakim pour nous encourager. Le tournoi est dans un mois.

- T'inquiètes je serai là la semaine prochaine. Et puis c'est surtout le jour j que vous aurez besoin d'encouragement.

- C'est pas faux !

Quelqu'un toqua à la porte de la salle. C'était une femme de ménage qui avait oubliait un flacon d'eau de javel dans la salle. Gaëtan se leva pour lui rendre, il avait lu machinalement les instructions "Ne pas mélanger avec d'autres produits" . Gaëtan se souvenait que si l'on mélange de l'eau de javel avec du détartrant, cela produit des vapeurs de chlore. Mais le plus dangereux est le mélange eau de javel et ammoniaque qui donne de la chloramine un gaz mortel. Gaëtan avait définitivement sombré dans ses idées noires. Ce soir, quand tout le monde serait endormi, il avalerait une plaquette des calmants de son père. Il descendrait à la cave, s'enfermerait et verserait de la javel et de l'ammoniaque dans un sceau. Les calmants feraient effet et la chloramine l'achèverait. Il préférait mourir que de décevoir son père.

- Monsieur ? demande Soledad

Gaëtan ne s'était pas rendu compte qu'un blanc s'était installé lorsqu'il était perdu dans ses pensées noires.

- Heu, excusez-moi je rêvassais dit-il en esquissant un faux sourire. Je vous libère, on a bien travailler ce soir.

Élise se tourna vers Maëlys:

- Tu vois qu'il va mieux ton chéri

- Tu es trop bête

- Plus sérieusement, faudra vraiment qu'on parle de ça un jour. Parce que de mon côté, il y a Victor qui m'a demandé si tu étais célib.

- Tu lui a répondu quoi ?

- Ben j'ai dit qu'à ma connaissance oui. Je pouvais pas répondre autre chose, car je ne sais pas ce qu'il se passe après les TD s'esclaffa Élise.

- Pffff

- Non plus sérieusement, on s'appelle dès que tu es rentrée.

- Ok !

Maëlys fit la bise à Élise. Elle attendait que tout le monde ait déposé sa séance sur le bureau pour parler à Monsieur Dutaigne

- Monsieur je voulais vous demander ...

- Désolé Maëlys je suis pressé ce soir coupa Gaëtan. Envoyez-moi un mail.

Un mail ! se dit Maëlys dans sa tête. Avec ce qui s'était passé la dernière fois, comment pouvait-il lui donner une réponse aussi froide. Soit il y a définitivement quelque chose qui ne va pas. Soit c'est un connard. Maëlys regrettait déjà d'avoir pensé à la seconde proposition et elle décida de suivre Monsieur Dutaigne. Au lieu de sortir du bâtiment et de se diriger vers le parking, elle remarqua qu'il se dirigeait vers un couloir. Elle entra discrètement et elle vit Monsieur Dutaigne en larme. Elle prit son courage à deux mains et dit d'une voix douce :

- Monsieur qu'est-ce qui ne va pas ? Parler vous fera peut-être du bien.

Gaëtan fut surpris. Il regarda Maëlys et craque devant autant de gentillesse. Il vida son sac et lui fit comprendre qu'il était au bout du rouleau.

Maëlys lui prit la main et le regardera dans les yeux :

- Je sais que c'est facile pour moi de dire ça, mais il ne faut pas vous mettre dans un état pareil. Il y a peut-être quelqu'un dans la fac qui peut vous aider à convaincre votre directrice.

- Bon sang oui, je n'y avais pas pensé. Il faut que je parle au directeur du centre de recherche.

- Vous voyez ! Alors maintenant vous allez mieux, vous n'allez pas faire de bêtises.

Cela me... nous ferait beaucoup de peine si vous n'étiez plus là.

Gaëtan était ému. Maëlys rougit. Ils se rapprochèrent, ils allaient s'embrasser !

Mais au dernier moment, l'un comme l'autre tourna la tête. Ce qui aurait dû être un premier baiser passionné se transforma en simple bise.

En silence, chacun reprit son chemin. Cette fois-ci, Gaëtan n'osa pas lui proposer de la raccompagner chez elle.

Chargé de t'aimer [relation prof/élève]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant