Death

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Ecoutez : Lana del rey Dark Paradise *
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Le voyage d'une âme est déterminé par ce qu'il lui reste à découvrir dans ce monde, tout autant que par ce qu'elle a travaillé dans sa prochaine vie. Accepter et évoluer face à ses schémas répétitifs est essentiel. Peu importe la violence avec laquelle ils ont quitté ce monde, une vie différente les attendait. Je les observais recommencer, oublier leur passé. Certains répétaient les mêmes schémas, tandis que d'autres traçaient un chemin complètement différent. Je me demande si cet enfant a fait un choix : a-t-elle créé son propre chemin ou a-t-elle continué son schéma tumultueux ?

Son visage me revient en mémoire chaque fois que j'essaie de me souvenir. Instinctivement, je touche le bout de métal autour de mon cou. Lorsque je me suis réveillé de ce long sommeil éveillé sans aucun souvenir, j'avais cette chose attachée autour de mon cou. J'aimerais me souvenir, mais cela changerait-il la personne que je suis ?

- Tu viens souvent ici ?

Mon regard se perdait au loin, observant la ville. Les cliquetis des horloges des personnes environnantes accompagnaient le bruit des vagues. J'avais mal aux oreilles. Je n'aimais pas discuter ; c'était le seul moment où je pouvais trouver la tranquillité dans mon esprit. Mais ce soir, il venait d'être envahi par une âme incomplète.

Je ne comprenais pas pourquoi son horloge était dans cet état. Son cœur n'émettait aucun son. Était-elle vivante ou morte ? Peut-être était-elle à mi-chemin entre les deux.

Mes oreilles bourdonnent. Fermant les yeux pour faire le vide, je remplis mes poumons d'air frais. J'entendais en boucle les hurlements plaintifs des spectres dont le chemin n'avait pas continué. Ils restaient enfermés dans une boucle sans fin, incapables de communiquer avec qui que ce soit, même pas avec moi.

Je ne voulais pas leur venir en aide ; ils avaient choisi de me tourner le dos. Les limbes, c'était là où ils s'agglutinaient, et y traverser était un cauchemar. Leurs yeux vitreux et sans vie, leurs respirations semblables à des grincements de porte, donnaient l'impression d'une présence constante et oppressante.

Il ne fallait jamais les regarder dans les yeux. En quête d'un corps à posséder, ils détruisaient et déchiraient l'âme du corps volé en lambeaux. N'ayant pas de réels buts, ils faisaient naître des émotions négatives dans le cœur de leurs victimes : envie, peur, colère, ou une mince pulsion de meurtre. Peu importait la taille du sentiment, ils s'en nourrissaient jusqu'à faire imploser l'âme.

Ils murmuraient des choses incompréhensibles à mon oreille en espérant que je puisse abréger leurs souffrances. Ces âmes avaient choisi de se suicider, mais le divin avait décidé de les punir en les privant de toute rédemption.

- Comment tu t'appelles ?

Je me redresse pour partir et lève une dernière fois les yeux vers le ciel. Il est maintenant dégagé, laissant place à un coucher de soleil qui teint la mer de rouge. Les dernières lueurs du jour glissent sur les vagues, créant un spectacle à la fois magnifique et mélancolique.

- Garde cet endroit, je ne reviendrai plus.

Je m'apprête à partir lorsqu'elle attrape mon bras. Une sensation étrange me saisit ; je me sens vaciller, comme emporté par une immense vague.

- Est-ce que tu peux rester ? Je suis désolée de t'avoir frappé, je pensais que tu étais un lourdaud qui voulait me draguer.

Son contact est différent de toutes les âmes qui m'ont touché jusqu'à présent. Il y a quelque chose d'inattendu dans cette interaction.

- Comment t'appelles-tu ?

Je dois le savoir. C'est essentiel ; toutes les cellules de mon corps réclament une réponse.

- Si je te le dis, tu vas rester ?

Pourquoi voulait-elle que je reste ? Elle m'a envoyé son pied au visage cet après-midi, et maintenant elle me demande de rester ?

- Seulement si c'est ton vrai nom.

Elle sourit narquoisement.

- Pourquoi es-tu aussi méfiant ?

Je regarde sa main qui tient encore mon bras ; elle le relâche enfin, mais son contact persiste dans ma mémoire.

-  Et toi, tu frappes toujours les inconnus ?

Ses yeux se posent sur la ville. Elle souffle en frissonnant, ses cheveux flottant autour de son visage comme une auréole de mystère.

- Dans ce bas monde, le danger est constant. Même en plein jour, on peut se faire agresser. J'ai cru que tu étais encore un de ces minables qui essayent de me mettre dans leur lit.

Depuis que je parcours ce monde, j'ai vu l'humanité changer. Il reste très peu de gens bien. Les mortels sont égoïstes ; ils ne pensent qu'à eux-mêmes, et il y a de plus en plus de tueries et de suicides. Les vies s'échappent des corps.

Je dois veiller à l'équilibre. Ce monde est régi par des lois qui ne doivent pas être brisées.

- Tu pourrais au moins faire semblant de m'écouter.

Je m'assois, laissant pendre mes jambes dans le vide ; elle m'imite. Ses cheveux volent au vent, effleurant son visage. Elle est d'une beauté hivernale, semblable à un conte ancien. Elle ressemble à une princesse à la peau aussi blanche que la neige, des lèvres rouges comme le sang, et des cheveux aussi noirs que les ailes d'un corbeau. Elle est la parfaite représentation de Blanche-Neige, sauf pour ses yeux, qui ressemblent à des pierres précieuses brutes trouvées au cœur d'un torrent déchaîné. La rivière a façonné ces pierres pour les rendre brillantes et d'un éclat presque irréel. Cette enfant, ses yeux sont similaires, mais cela fait si longtemps que son horloge doit déjà être arrêtée.

Magnifique. Elle l'est sans aucun doute.

- Tu n'es pas un grand bavard, toi ?

Je n'ai généralement personne à qui parler, sauf les défunts.

- Très perspicace de ta part.

Elle croise les bras sur sa poitrine, commençant à frotter ses bras.

Est-ce qu'il fait froid ? Je ne ressens rien, pas même la chaleur du soleil.

- Normalement, c'est à ce moment-là que tu es censé me proposer ta veste.

Je la regarde incrédule.

- Peut-être que je serais gentleman quand tu m'auras dit ton nom, libellule.

Elle claque des dents en me fusillant des yeux.

- Quand tu m'auras dit le tien, corbeau.

Je souris devant ce surnom. Elle a du répondant ; c'est une amusante distraction.

- Death.

Elle lève les sourcils, l'air perplexe.

- Tu te moques de moi ? Je pensais qu'on devait dire nos vrais noms, parce que dans ce cas-là, je suis Pocahontas.

Je me lève et lui balance ma veste sur la tête. Il est déjà tard ; les larmes et les cris ne s'arrêtent jamais. Les derniers coups d'horloge annoncent la fin d'une vie, mais aussi l'arrivée de la faucheuse d'âmes.

- Je viendrai la récupérer, libellule. Tâche d'en prendre soin.

Je disparais avant qu'elle ne puisse répondre et prends mon envol vers le crépuscule.

For The  Love Of Death T1 et T2 Où les histoires vivent. Découvrez maintenant