5. Les yeux plus gros que le ventre

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Ce soir d'automne-là, il pleuvait à torrents et nous avions prévu de passer la soirée sur les quais. Nous nous étions alors achetés à emporter et avions mangé dans cette merveilleuse voiture qu'est ma Fiat Punto. Le parfum envoûtant et plein de souvenirs de Jérémy dans les narines, il m'était difficile de me concentrer sur ma nourriture. Nous discutions, le clapotis de la pluie sur le pare-brise rythmant notre conversation. Cela faisait deux mois que nous n'étions plus ensemble et avions perdu le fil de la vie de l'un et de l'autre. Nous avions donc beaucoup à nous raconter, d'autant plus que toutes les traces d'amour et d'intérêt l'un pour l'autre n'étaient pas parties. Je pensais avoir tourné la page, mais cette soirée-là m'avait révélé que ce n'était pas le cas.

Comme d'habitude, Jérémy parlait beaucoup et je buvais ses paroles. J'aimais écouter ce que me racontaient les gens sans avoir à ouvrir la bouche. Ça ne m'avait jamais intéressée de raconter ma vie aux autres, je n'y voyais pas d'intérêt, si ce n'est, la plupart du temps, nourrir l'hypocrisie des gens. En bref, tout se passait bien. De temps en temps, une blague fusait et nous éclations de rire, retrouvant notre complicité. Je triturais le papier enveloppant mon sandwich poulet crispé et sauce curry tout en m'efforçant de ne pas trop le regarder.

Il n'avait jamais eu une beauté hors du commun. Avec son mètre soixante-deux et son nez à peine plus long que la normale, il avait un physique qui n'était pas désagréable à regarder, mais qui n'entrait pas dans les canons de beauté. Pourtant, ses yeux bleus, ses cheveux blonds ébouriffés et sa mâchoire divinement sculptée lui apportaient un charme rare qui me faisait fondre. Peut-être était-ce parce que nous avions un passé commun. Toujours était-il qu'éviter de le regarder me semblait une bonne stratégie, d'autant plus que sa voix à la fois grave et douce qui m'était si familière ne me laissait pas indifférente.

- Et toi, comment se passent tes études ? Toujours la pro des studios ?

Je sortis instantanément de ma rêverie, prise de cours. Je le regardai fixement avec des yeux de merlan frit et la bouche entrouverte, cherchant mes mots. Il m'encouragea d'un sourire. Il savait définitivement comment réagir avec moi. Je parvins à me reprendre et lui racontai ma semaine avec enthousiasme, assez pour lui faire croire que tout allait bien sans lui, pas trop pour garder un minimum de crédibilité. Quand j'eus fini mon récit, la pluie avait cessé.

- Tu veux qu'on sorte faire un tour, proposai-je.

- Allons-y !

Nous marchâmes le long des quais, un léger malaise entre nous du fait que j'avais une envie irrépressible de lui prendre la main.

- Tu sais... commença-t-il tout bas.

- Oui ?

- Des fois, je me dis qu'on pourrait quand même continuer à se faire plaisir tous les deux, même si nous ne sommes plus ensemble. Si ça te dit.

Je relevai la tête pour lui faire face et le fixer d'un air interrogateur, comme si je n'avais pas compris.

- Pardon, je n'ai pas compris, mentis-je en n'étant pas sûre d'avoir bien compris ce qu'il avait voulu dire.

- Non, rien. C'était pas important.

On continua notre promenade comme s'il n'avait jamais rien dit, mais plusieurs fois il avait jeté des bouteilles à la mer pleines de sous-entendus, espérant sûrement secrètement que je comprenne. Or, je n'étais pas encore sûre de bien comprendre.

Sans états d'âmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant