12. La nature revient toujours au galop

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Je me dirige d'un pas ferme vers le bar le plus proche. Chaque foulée est lourde, pesante, comme si le sol cherchait à m'engloutir. Le trottoir défile sous mes pieds, mais je ne le vois même pas, trop absorbée par ma propre agitation. Mes muscles sont tendus, les épaules raidies par la tension accumulée, et je ressens chaque pas comme une épreuve, une lutte pour ne pas m'effondrer ici, en plein milieu de la rue. Je suis exténuée, ma crise a pompé toute mon énergie, me laissant vide, exsangue, comme une coquille abandonnée.

Pourquoi un bar ? C'est une question que je me pose à peine, la réponse me semble tellement évidente qu'elle n'a pas besoin d'être formulée. L'alcoolisme, ce vieux démon que j'avais enfoui au plus profond de moi depuis Jérémy, ne demande qu'à refaire surface avec une force dévastatrice. L'envie d'oublier, de m'engourdir dans l'ivresse, s'imposent à moi avec une urgence que je n'arrive pas à combattre. Changer de pays, changer de vie, aurait dû me faire changer également mais comme on dit, la nature revient toujours au galop.

Je m'arrête soudain, sur le trottoir de gauche, et me retourne pour faire face au bar situé de l'autre côté de la rue. L'enseigne en néon luit d'un rouge et d'un jaune criards, perçant la nuit avec une intensité presque vulgaire. Les tubes de lumière clignotent par moments, créant une atmosphère à la fois attirante et repoussante, comme une promesse de réconfort et de perdition tout à la fois. Je baisse la tête, et avance d'un pas ferme, déterminée à atteindre cet endroit où je pourrais enfin relâcher la pression. Je ne regarde même pas avant de traverser, et le bruit lointain des klaxons me semble étrangement déconnecté de la réalité. Je n'ai pas peur de mourir, au contraire. Si la mort pouvait cueillir ma petite vie misérable à cet instant, je lui en serais gré. Cette pensée morbide s'impose à moi avec une simplicité effrayante, comme une évidence qui ne nécessite pas de réflexion. Je me suis tant déçue, tant de fois, qu'à cet instant, tout ce qui m'importe est de me laisser couler, d'une manière ou d'une autre. Je n'ai plus l'énergie pour me battre contre moi-même.

Je tends la main pour attraper la barre de métal accrochée à une grande porte en bois sombre patiné. Je tremble, j'hésite. L'endroit ne m'est pas familier, quelque chose m'empêche d'y entrer, je ne sais pas quoi. Mais mon bras, relié à ma main qui serre à présent la grande porte, ne parvient pas à tirer le battant. Entre mes doigts, les jointures blanchissent et le reste de ma main rougit. Mes yeux se posent dessus et je me surprends à contempler ce phénomène avec une fascination morbide. C'est comme si mon corps me montrait sa résistance, son refus de céder à cette tentation destructrice. Je serre encore plus fort, jusqu'à en avoir mal, jusqu'à ce que la douleur devienne presque une distraction.

Finalement, je lâche prise. C'est comme si une partie de moi, celle qui s'accroche encore à un semblant de raison, avait gagné cette batailleuse énième fois. Je laisse mon corps décider à ma place, comme si je n'étais plus qu'une spectatrice de mes propres actions. J'attrape mes clefs de voiture et repars d'un pas décidé. Mes pieds me guident, presque automatiquement, vers le parking affilié à l'immeuble où réside Remy. Le rouge de ma petite Fiat me saute aux yeux dès que j'entre dans le parking sombre, et sans réfléchir, je me rue vers elle, animée par une impulsion que je ne comprends pas vraiment. Je donne un coup de pied furieux dans le pare-choc arrière. Le bruit sourd résonne dans l'espace confiné du parking, un son qui semble à la fois trop fort et trop insignifiant. Il n'y a aucune utilité, aucune raison à ce geste, et pourtant je le répète, encore et encore, comme si la douleur que je cherche à infliger à ma voiture pouvait apaiser celle qui me ronge de l'intérieur. Les larmes, encore une fois, montent, mais cette fois, je les ravale, refusant de leur donner libre cours. Ce que je ne sais pas, encore une fois, c'est pourquoi. Pourquoi cette rage, pourquoi cette destruction ? Je n'ai pas de réponse, seulement un besoin impérieux de frapper, de faire mal, de détruire quelque chose, même si ce quelque chose n'a rien à voir avec ma douleur.

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⏰ Dernière mise à jour : Sep 07 ⏰

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