Le Havana

Chapitre 22

Une heure plus tard, j'étais attablée dans une luxueuse maison de Neuilly, dont uniquement le salon devait être plus grand que l'entièreté de la maison de mes parents. Quand nous avions pénétrés dans la demeure et que j'eus réalisé pleinement sa grandeur, Louis me glissa à l'oreille que Luca était un jeune entrepreneur ambitieux et à succès tandis que sa sœur travaillait dans un poste haut placé au Printemps Haussmann. L'intitulé de son poste était trop long pour que Louis s'en souvenut mais il y avait un lien avec les achats du magasin. Dans tous les cas, je comprenais que ce couple-là était ambitieux et couronné de succès, en plus, d'avoir une fille terriblement adorable dont l'oncle était terriblement mignon.

Après avoir couché Chiara, le couple nous rejoignirent à table tandis que Louis me racontait que le tableau, dont j'avais dit être capable de peindre moi-même, avait coûté plus que ce que je pouvais gagner en un an au Havana. J'étais abasourdie et songeait à une carrière de peintre. Le tableau en question n'était que deux rangées de lignes verticales vertes et un gros cercle jaune. Je pensais même que Chiara était capable de le faire ...

Au début du brunch, je laissais Louis et Yseul parler entre eux tandis que j'inspectais chaque détail de la maison. Le salon avait d'immenses baies vitrées qui donnaient sur un jardin impeccablement tondu et une longue piscine dont je peinais à y distinguer la fin. La lumière du jour transperçait le salon mettant en valeur le contraste entre le blanc dure des murs et les meubles en bois. La cuisine ouverte sur le salon était faite entièrement en marbre blanc. La seule touche de couleur vive était apportée par les deux canapés rose et violet du salon. Là où nous mangions était une table faite pour quatre qui séparait ces deux espaces. Louis m'avait révélé qu'il y avait une salle à manger séparée avec une gigantesque table en verre réservée aux grands repas. Il m'avait aussi dit que c'était un privilège de manger sur la table dans le salon car c'était là où se déroulait tous les petits repas de famille et de la vie quotidienne. J'en fus honorée.

Dans un sens, la décoration et l'ameublement de la demeure me faisait penser à l'appartement de Louis mais avec moins de couleurs. Il y avait toujours cette volonté de contraste entre les matériaux et les textures, et ce minimalisme faisant qu'il n'y avait pas de meubles superflus. Avoir de l'argent pourrait conduire à surcharger sa maison, mais, les Park savaient être classe et pas tape à l'œil. En plus d'avoir un sens inné de la mode, ils possédaient un sens de la décoration. D'autant plus, que j'étais persuadée que tout ceci n'était pas l'œuvre d'un décorateur d'intérieur.

- Quand ces deux-là sont lancés, ils peuvent parler durant des heures, me lança Luca en souriant pendant que sa femme et son beau-frère étaient en pleine conversation sur les derniers méfaits de leurs demi-frères à Londres.

- Je vois ça, répondis-je simplement.

- Je suis bien content que tu sois là. J'ai enfin quelqu'un à qui parler et qui, surtout pourra me répondre. Entre nous, Chiara n'arrive pas encore à saisir le concept de la parole, ironisa Luca.

- Profitez car vous risquez de regretter ce moment.

- Comment ça ?

- Quand ma nièce, Romane, a commencé à parler, cela a été un enchaînement de questions et de répétitions. Dès qu'elle apprenait un nouveau mot, elle le répétait en boucle des heures durant.

L'italien rit de bon cœur et continua de me poser des questions sur mes neveux et nièces. Comme toujours s'agissant de Romane et Ben, il ne fallait pas me prier pour parler d'eux. Je craignais que Luca ne savait pas dans quoi il s'était embarqué, mais l'Italien semblait réellement m'écouter et me posa même des questions sur eux. Cela touchait directement mon petit cœur de tata.

- Il faut que tu rencontres papa Athénaïs ! s'exclama Yseul en me regardant.

- Je ... euh

- Je ne suis pas sûr que ça soit une si bonne idée que ça, ma chérie, dit Luca en venant à ma rescousse.

- Je dois admettre qu'il a raison, même si j'adorais que papa rencontre Athénaïs, je ne lui en ai pas encore parlé, admit Louis.

- Et il risque de penser qu'elle est là pour l'argent. Votre père a tendance à oublier que vous êtes plus que des simples gosses de riches, ajouta Luca.

   Je ne savais pas quoi penser de ses paroles. Louis n'avait pas parlé de moi à son père, mais, je ne pouvais rien dire, je n'avais pas parlé de lui à mes parents non plus avant que leur rencontre fut forcée.

- C'est vrai, avant de savoir ce que tu faisais, il était persuadé que tu étais là que pour ça, compléta Yseul.

- Il est arrivé quoi à votre père pour qu'il pense ça automatiquement ? demandai-je subitement.

Tous les trois me regardèrent ahuris comme si cela ne leur était jamais venu à l'esprit.

- Vous n'allez pas me dire que vous trouvez ça normal d'être méfiant à ce point juste pour de l'argent ? poursuivis-je sans les quitter des yeux.

- Tu ne peux pas comprendre, déclara Yseul froidement.

- À vrai dire, elle a raison. Athénaïs a raison. Les parents de mes amis ne sont pas comme ça, il n'y a que papa qui agit de la sorte, rétorqua Louis en me lançant un regard rempli de tendresse.

Je fus soulagée que Louis comprenne ce que je voulais dire. Par contre, le regard que me lançait Yseul depuis l'autre bout de la table était tout sauf tendre. Ses yeux marrons étaient devenus plus sombres et tranchants. Ses doigts étaient crispés sur ses couverts et j'eus peur qu'elle m'en lança un en pleine tête. Aussitôt, je détournai le regard mais tombai sur celui de Luca dont les iris gris avaient pris les teintes d'une tempête prêtes à s'abattre sur moi. Je commençai à regretter d'être venu. J'ignorais ce qui s'était passé pour rendre leur père méfiant à ce point, mais, je savais que cela avait un rapport avec Yseul dont Louis n'était pas au courant.

   Tout à coup, les pleurs de Chiara retentirent à travers le baby phone posé sur la table. Les deux parents se précipitèrent vers leur fille comme échappatoire. Je me tournais vers Louis en quête de réponse.

- J'en sais pas plus que toi !

- Louis, c'est ta sœur quand même. Il y a bien dû avoir un moment où quelque chose s'est passé, hasardai-je.

- Il y a bien eu un mec avant Luca mais, Yseul était jeune. Elle devait avoir vingt ans, commença à me raconter Louis.

   Louis se souvenait bien de la première fois qu'il avait rencontré Peter. Il était londonien et était dans la même classe qu'Yseul en études supérieur. La famille Park se rendait pour un week-end à Bath. Yseul avait invité Peter pour le présenter à son père et sa belle-mère. Il était gentil, serviable et poli. Il jouait beaucoup avec Louis malgré leur écart d'âge et ne le traitait pas comme un gamin, chose que tout les amis d'Yseul faisait avec lui. Le week-end s'était très bien passé. Depuis ce week-end, la famille voyait régulièrement Peter qui paraissait toujours aussi parfait. Un an passa, et Peter s'était totalement intégré à la famille. Cependant, Louis avait remarqué qu'il passait moins de temps avec lui et commençait à le traiter comme un enfant. Cela débuta avec Louis, puis se poursuivit avec leur belle-mère en étant désagréable et méchant envers elle quand ils n'étaient que tous les deux. Les deux seuls qui continuait de profiter du Peter parfait étaient leur père et Yseul. Louis était jeune et cela ne l'avait pas marqué tant que ça sur le moment.

Un soir en semaine, un jeudi plus exactement, Yseul débarqua en pleurant dans leur maison. Elle criait et pleurait. Elle n'arrivait pas à se calmer et paniquait. Louis avait été sommé d'aller dans sa chambre mais, il resta dans le couloir lorsque sa sœur expliqua à son père ce qu'il s'était passé. Plus tôt dans l'après-midi, Yseul avait eu un cours annulé. Elle avait eu l'idée de se rendre à l'appartement de Peter qui était juste à côté de leur école. Elle savait qu'il était chez lui car il n'avait pas cours. Lorsqu'elle arriva chez lui, elle entendit des cris et des gémissements. Elle ne tarda pas à retrouver Peter avec quelqu'un dans son lit : un garçon. Une dispute s'en suivit. Louis se souvenait uniquement que l'ex petit copain de sa sœur lui avait dit qu'il n'était là que pour une chose. Pile à ce moment-là, sa belle-mère découvrit que Louis n'était pas allé dans sa chambre et le força à s'y rendre. C'était tout ce que Louis se rappelait.