Chapitre 6

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Gabriel

Rien de mieux qu'une journée au grand air pour se changer les idées.
Je crois n'avoir jamais été aussi mal à l'aise de ma vie. J'ai même été gêné de croiser son regard sincèrement inquiet pour moi.
Je passe ma main dans mes cheveux et observe les alentours à travers mes lunettes de soleil. J'ai trouvé cet endroit par hasard un jour, un petit coin de verdure à l'abri des regards, et en profite donc pour marcher un peu de temps en temps. Comme aujourd'hui. Peut-être que j'arriverai à me vider l'esprit, à oublier mon malaise.
Une légère brise caresse mon visage, le soleil est étonnamment chaud pour ce début de printemps. Je suis mon habituel petit chemin, prenant garde à ne pas trébucher sur les nombreux cailloux et pierres qui sortent de terre. Les oiseaux chantent et se répondent à travers la végétation. Je savoure ce calme loin de la capitale et de l'agitation de Matignon et des médias. Je sens mon corps et mon esprit se détendre à chaque pas.
Se détendre j'ai dis ?
"Non mais c'est une blague ?"
Je m'arrête. J'étais ici pour être tranquille, et je tombe sur celui qui perturbe mes pensées, en jogging, en train de lire sur un banc. Il relève les yeux de son roman et la surprise laisse vite place à son habituel sourire.
"Gabriel, comment allez vous ?
-C'est du harcèlement là.
-C'est un lieu public que je sache, et j'étais là avant vous. C'est vous qui me harcelez du coup.
-Quoi ? Mais non je...
-Je vous taquine, Gabriel, ajoute-t-il en se levant. C'est agréable de se rencontrer en extérieur, ça change des dîners et des plateaux de télévision."
Jordan Barbella se rapproche de moi et je dois lever de plus en plus la tête pour le regarder. Il est si grand. Et ce jogging qui tombe sur ses hanches...
Je croise les bras.
"Vous m'assurez que nous nous rencontrons vraiment par hasard ?
-Je vous le promets.
-Bien. Je vais continuer mon chemin. Bonne lecture."
Je reprends ma route. Accompagné. Je m'arrête.
"Vous comptez marcher avec moi, Monsieur Bardella ?
-Jordan.
-Pardon ?
-Vous pouvez m'appeler Jordan. Nous sommes seuls ici."
Je détaille son visage un instant, et cède.
"Vous comptez m'accompagner, Jordan ?"
Son sourire s'agrandit, comme un enfant heureux de recevoir ce qu'il voulait.
"Si cela ne vous dérange pas."
Je hausse les épaules et nous marchons côte à côte sous les arbres. Je garde mes mains dans mes poches, finalement assez à l'aise. Il est différent de l'homme que je rencontre habituellement. Il semble plus calme, plus détendu. Il commence à prendre la parole, à faire la conversation. Au début je réponds brièvement, mais je me laisse peu à peu porter par l'ambiance. Je me surprends même à sourire. À rire. Lui aussi.
J'aime son rire. Il illumine son visage et le rend encore plus charmant.
Je dois avouer qu'il avait raison : nous avons plusieurs points communs. Il n'est pas la personne fermée d'esprit et vaniteux que je pensais. Je me sens un peu idiot de l'avoir jugé rapidement. Je pense que ce qu'il me fait ressentir m'a poussé à ériger un mur entre nous. Après tout, il n'est peut-être pas intéressé par les hommes et je refuse de me laisser aller pour finalement me retrouver dans une relation à sens unique. Cependant, que peuvent faire mes convictions face à un homme si envoûtant.
Jordan me fixe en silence depuis quelque secondes. Je me tourne vers lui avec un sourire en coin.
"Qu'est-ce qu'il y a ?"
Il ne répond pas tout de suite, mais s'arrête de marcher. Je fais de même, attendant sa réponse.
"Tu me plais.
-Tu veux dire qu'on s'entend bien ? je demande, incertain.
-Non, je veux dire que tu me plais vraiment. Je te veux."
Tout s'arrête. Je n'entends plus les oiseaux, ne vois plus les arbres. Je n'entends que mon cœur qui bat, ses mots qui résonnent dans mes oreilles. Je ne vois que lui, son audace mêlé à une forme de timidité. J'ouvre la bouche pour parler, mais aucun son ne sort. Il n'attend pas de réponse de ma part avant de reprendre la marche. Il me faut quelques secondes pour me mettre en mouvement. Je ne sais pas quoi dire, quoi faire. Le silence s'étend entre nous. Je cherche quelque chose, n'importe quoi pour relancer la discussion. J'arrange mes cheveux et je prends mon courage à deux mains.
"J'ai été harcelé pendant des mois par rapport à mon orientation sexuelle, quand j'étais au lycée."
Jordan s'arrête pour me regarder.
"Ça m'a forgé avec le temps, mais ça ne veut pas dire que je ne peux pas être blessé lorsque l'on se joue de moi.
-Je ne comprends pas...
-J'avoue, tu avais raison, on s'entend bien. Par contre ne dis pas des choses que tu ne penses pas."
Je garde un visage sérieux, déterminé, mais à l'intérieur de moi je ne suis qu'un ado terrorisé.
"J'ai bien des défauts, mais je ne mens pas, Gabriel."

Après le débatOù les histoires vivent. Découvrez maintenant