Chapitre 14

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Gabriel

Je souris. C’est plus fort que moi. Sa réponse, qui n’a pourtant rien de particulier, est spéciale à mes yeux. Comme chacun des messages qu’il m’envoie, chacun des instants que nous partageons, chacun des mots que nous échangeons.
Lui aussi a hâte de me voir.
Je le sais et pourtant le constater me remplit de joie. Je repose mon téléphone pour ne pas être tenté de le déranger plus que nécessaire, et reprend la lecture des documents qui sont étalés sur mon bureau. Mon travail me semble un peu plus léger depuis que Jordan et moi sommes en couple.
Ce mot me semble encore surréaliste pour parler de nous.
Un appel sur le téléphone fixe de mon bureau interrompt ma lecture.
“Monsieur Attal, j'écoute.
-Monsieur, un journaliste, un certain Anthony Martin, demande à s'entretenir avec vous. Il dit avoir en sa possession des informations pouvant vous être utiles.”
Un journaliste ? D’habitude ils attendent les conférences de presse pour intervenir.
“Faites-le monter.
-Bien, monsieur.”
J’arrange la paperasse de mon bureau pour accueillir mon invité imprévu, le temps qu’il franchisse les dispositifs de sécurité. Des coups à la porte m'indiquent son arrivée. Je demande à l’employé qui l’accompagne de le faire entrer et le remercie pour le congédier.
“Bonjour Monsieur Attal, Anthony Martin, je suis photographe de presse.
-Bonjour Monsieur Martin. D'après l’agent d’accueil vous souhaiteriez me fournir des informations utiles ?
-En effet, j’ai en ma possession des photos qui, entre vos mains, pourraient vous permettre de remporter le deuxième tour des élections législatives.”
Sa réponse me prend de court. Des photos ? Comment pourraient-elles me faire gagner les élections ?
“Pourquoi me les transmettre et ne pas les vendre à un journal ?
-Je pense que votre agent de communication saura en faire bon usage, si vous souhaitez les acheter, dit-il en sortant une pochette à élastiques qu’il ouvre. Celles-ci sont l’unique exemplaire. Je peux vous les vendre un bon prix, mais si vous voulez l’exclusivité il faudra compter plus cher.”
Je retiens mon souffle et maintient difficilement mon impassibilité lorsque je pose les yeux sur les quatre clichés.
C’est impossible.
Sur ces photos, on voit Jordan accompagné d’un homme. On ne peut le reconnaître, mais je sais que c’est moi. Je sais exactement quand ont été prises ces images. On ne me reconnaît pas, on voit à peine mon visage et je portais des lunettes de soleil. Impossible de savoir qu'il s'agit de moi.
Je fais défiler les clichés, constatant l’impact qu’ils pourraient avoir s’ils étaient divulgués. En soit, rien de grave, on voit seulement Jordan main dans la main avec un homme et une photo où l’on comprend qu’il y a un baiser, mais la presse people et leurs lecteurs sont friands de ce genre d’images. Surtout avec les hommes politiques qui sont actuellement sur le devant de la scène. Les gens adorent diaboliser des actes normaux, spéculer sur les relations des célébrités et critiquer les choix de chacun. Avec le bon article pour l’illustrer, la carrière et la campagne de Jordan pourraient être mises à mal. Je comprends alors ce que le journaliste a voulu dire : si je fais publier ces clichés, je crée un scandale qui aura de lourdes conséquences sur les élections. Les journaux ne parleront que de ça : "le président du Rassemblement National en couple avec un homme".
Je pourrais gagner.
Je rassemble les images et reporte mon attention sur le photographe en face de moi.
Ma décision était prise à l’instant même où j’ai posé les yeux sur ces photos.
“Combien ?”

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