Chapitre 3

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Jordan

Lorsque je prends place sur le fauteuil qui sera le mien pour toute la durée du débat, un détail me fait tiquer. Mon adversaire semble distrait. Une aubaine pour moi. Ce débat sera vite gagné. Gabriel Attal me jette régulièrement des regards emprunts d’une certaine tension, presque de la colère. Je ne comprends pas cette réaction, alors que c'est lui qui a déboulé dans ma loge de façon tout à fait inattendue. Ce devrait être moi la personne agacée ou gênée.
Pourtant, ce petit air contrarié lui donne un aspect plus espiègle. Je m’amuse beaucoup à jouer avec lui. Il est si simple de le taquiner. Et si je continuais à l'embêter pendant le débat ?
Je dois me concentrer, mais ne peux m’empêcher de lui lancer un regard complice. Sa réaction ne se fait pas attendre, et il détourne le regard. Il me semble le voir légèrement rougir, mais avec tous les éclairages sur le plateau de télévision, il est fort probable que ma vue me joue des tours.
Le direct commence. Les journalistes nous présentent, rappellent aux téléspectateurs les règles du débat, les sujets qui seront abordés, et le débat débute.
J’entre directement dans le sujet, prêt à toute attaque, ma défense parée sur tous les thèmes qu’il pourrait lancer. J’argumente mes idées, les met en valeur, avance avec conviction mes principes et… suis quelque peu perturbé par les réactions moins piquantes que ce à quoi je m’attendais.
Monsieur Attal ne se laisse certes pas faire, mais je sens comme une fissure dans sa défense. C’est comme s’il n'était pas bien préparé ou pas assez concentré. J’en profite pour prendre l’avantage lors de ce débat, bien que ma curiosité soit piquée au vif. Je tente quelques coups d’œil discrets, mais ne perçoit qu’une espèce de gêne qu’il tente tant bien que mal de dissimuler. Comme c’est mignon.
Le débat se termine, nous remercions les présentateurs, et le direct est coupé. Monsieur Attal garde son visage neutre, politiquement correct, et quitte le plateau avec un léger empressement. Je le suis du regard, amusé de ses réactions. J’ai tout de suite su qu’il était intéressant. Même si nos partis politiques divergent, je pense que nous avons plus en commun qu’il ne pourrait l’admettre.
Je récupère mes affaires dans ma loge, en profite pour grignoter quelques madeleines, quand mon opposant débarque une fois encore sans même s’annoncer.
“Bien joué, je n’aurai jamais vu venir ce coup-ci.”
Mais de quoi parle-t-il ?
“Je vous préviens, vos stratégies à deux balles basées sur l’embarras ne fonctionneront pas deux fois.
-Mes stratégies ?
-Oh Monsieur Bardella ne faites pas l'innocent. Que vous vous battiez avec vos idées c’est tout à votre honneur, mais vous appuyer sur un moment d’égarement pour mettre mal à l’aise votre opposant, vraiment je trouve cela très petit.”
Il croit que j’avais orchestré tout ça ?
“Je vous assure que ma seule stratégie aujourd'hui résidait dans mes fiches de débat. Maintenant, si vous me permettez, j’aimerai me changer et rentrer chez moi où j’ai encore beaucoup de travail. À moins que vous ne souhaitiez une fois encore vous rincer l’œil à mon insu, Monsieur Attal.”
Ma remarque le fait rougir et son visage se décompose avant de se refermer.
“Je préfère n’importe quel spectacle que de vous avoir dans mon champ de vision une minute de plus.”
Alors qu’il ouvre la porte et fait un pas hors de ma loge, je ne peux m’empêcher de dire, dans un sourire qui se veut sarcastique : “Merci, Gabriel.”
Pour une fois, il ne répond pas et claque seulement la porte un peu plus violemment que ne le veut la politesse. Je ris doucement, amusé.
Où va-t-il donc chercher ces idées de “stratégies” ? Il s’est mit mal à l’aise tout seul, même si j’ai beaucoup apprécié ses expressions embarrassées. Ça lui donne un côté plus humain, moins “personnalité politique”.
Je secoue la tête en souriant.
Tu te ramollis mon Jojo.
En même temps, difficile de rester stoïque face à de tels yeux pleins de défis.

Après le débatOù les histoires vivent. Découvrez maintenant